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Un an après son lancement, «Salto» s’installe doucement mais sûrement


En octobre 2020, les groupes TF1, France Télévisions et M6 unissaient leurs forces pour lancer officiellement conjointement une nouvelle plateforme de SVOD (service de vidéos à la demande) baptisée «Salto», dont l’objectif principal était de «participer activement au rayonnement de la création française et européenne» face à la rude concurrence exercée par des plateformes de streaming américaines telles que Netflix, Amazon Prime Vidéo ou Disney+. Ce projet, à la fois ambitieux mais nécessaire, a été peu pris au sérieux à ses débuts pour tout un tas de raisons. Mais peut-on affirmer que Salto a, depuis, fait ses preuves ? Dressons un premier bilan, un an après le lancement de Salto.



Avant d’aller plus loin, si vous ressentez le besoin d’avoir une petite piqure de rappel, n’hésitez pas à (re)lire l’article de Televidilo consacré à Salto au moment de son lancement à l’automne dernier ! https://televidilo.wixsite.com/televidilo/post-unique/2020/10/19/salto-une-pretention-tardive-et-naive-mais-louable-d-un-netflix-a-la-francaise



Un flou entretenu autour des premiers résultats économiques


Une chose est sûre : il faudra se montrer patient/e pour pouvoir savoir si Salto est un succès commercial ou non. En effet, à l’instar des pratiques opaques des plateformes de SVOD connues et reconnues, pas un chiffre n’a été communiqué par l’entreprise ou l’un/e de ses responsables depuis le lancement de Salto.


Seule estimation connue, à titre indicatif : d’après le journal Les Echos, Salto comptait entre 350 000 et 400 000 abonné/e/s cet été. Deux mois après son lancement à l’automne 2020, iels [pronom neutre, contraction de «ils» et «elles»] étaient environ 200 000, chiffre que nous pouvons ramener à 60 000 si nous ne comptons pas tous les utilisatrices et utilisateurs qui n’ont souscrit qu’au mois d’essai gratuit, dont les 14 000 salarié/e/s des trois maisons mères de Salto, qui se sont vu/e/s proposer Salto gratuitement pour six mois. De plus, d’après les données partagées par France Télévisions à l’occasion de la présentation de son budget, il n’est pas prévu que l’équilibre financier de Salto soit atteint avant 2023, l’entreprise affichant un déficit de 93 millions d’euros en 2021 pour sa première année d’existence.


A partir de là, comment pouvons-nous interpréter la stratégie de silence de l’entreprise ? Le signe d’un soin accordé à ne pas plomber les efforts d’attractivité de la plateforme par la communication autour d’un lancement qui n’a pas suscité de réel engouement ? Ou bien la volonté de cacher une déception vis-à-vis d’un projet dans lequel de nombreux grands acteurs de l’audiovisuel ont engagé leur crédibilité et investi pas mal de moyens et d’espoir ? La réalité se situe certainement entre les deux.


Il semble, quoi qu’il en soit, à en croire l’estimation avancée par Les Echos, que Salto n’a pas particulièrement su capitaliser sur un contexte pourtant propice aux plateformes de streaming. En effet, du fait du couvre-feu décrété en France par les autorités entre octobre 2020 et juin 2021 à cause de la crise sanitaire, qui a imposé à la population de rester chez elle, Netflix & co ont connu un bond de leur fréquentation. D’après le baromètre du CSA consacré aux «effets de la crise sanitaire sur les audiences des groupes audiovisuels» paru en juillet dernier, les divers services de SVOD ont, en moyenne, été consulté par 8,7 millions d’utilisatrices et d’utilisateurs chaque jour au cours du premier semestre 2021, soit une hausse d’environ 775 000 personnes par rapport au premier semestre de l’année précédente, et plus du double par rapport au premier semestre 2019. Entre octobre et novembre 2020, au moment de l’instauration d’un couvre-feu et du retour à des mesures sanitaires plus restrictives, les plateformes de SVOD sont passées de 6,9 à 8,4 millions d’utilisatrices et d’utilisateurs quotidiens en moyenne. De plus, une étude réalisée par Webedia pour Allociné en mai 2020 affirmait que 24% des personnes interrogées ont déclaré avoir souscrit à un abonnement à une plateforme de SVOD pendant le confinement, et que seul un répondant sur dix pensait «se désinscrire d’un service de SVOD à la fin du confinement».



De l’ambition d’un «Netflix à la française» à la réalité d’un «BritBox français»


A défaut d’être en mesure de savoir avec certitude si Salto a déjà commencé à trouver son public, il est, en revanche, possible d’évoquer la réalité de l’offre de contenus proposée par la plateforme. Comme nous pouvions le présager dès le départ, celle-ci n’a pas dû être des plus incitatives pour fidéliser un public.


En effet, à la différence des plateformes de SVOD à succès, Salto ne mise pas sur la production de contenus exclusifs. Outre la diversité de l’offre de Salto (qui propose des séries, des divertissements, des programmes d’information, des documentaires, des magazines, des dessins-animés et de la télé-réalité), la force de la plateforme française de streaming se trouve plutôt dans la double nature de son offre, combinant la possibilité de visionner en direct n’importe quelle chaîne des groupes TF1, France Télévisions et M6 (qui, depuis le lancement de Salto, ont été rejoints par le groupe NRJ et la chaîne L’équipe) et celle de (re)voir leurs programmes n’importe quand, valorisant les avant-premières proposées par Salto bien avant la diffusion des programmes à la télévision. A première vue, peu de monde a envie de payer de 6,99€ à 12,99€ par mois pour «l’agrégation éditorialisée» de programmes accessibles gratuitement en les regardant à la télévision ou sur les sites de replay des chaînes. Les publics visés, dans un premier temps, par Salto semblaient donc limités au nombre de deux : les fidèles impatient/e/s de programmes de ces différents groupes télés, qui vont finir par souscrire à Salto à force d’entendre à la fin de la diffusion du programme qu’iels apprécient que la suite est disponible en avant-première sur la plateforme ; et les jeunes, que les chaînes ne désespèrent pas de faire aimer la télévision en adoptant les codes des plateformes de streaming qu’iels plébiscitent, notamment en «libérant les programmes télévisés des contraintes du linéaire» (rassemblement de tous les contenus disponibles en un unique endroit, visionnage des programmes possible n’importe quand, contenus disponibles en replay de manière illimitée…).


Néanmoins, même si produire des contenus exclusifs n’est officiellement pas la priorité de Salto, nul doute que pour élargir son public, Salto sera bien obligée de finir par revoir sa position dans un temps plus ou moins éloigné. Et pour cause : elle qui, à l’origine, était présentée comme un futur «Netflix à la française» a, pour l’heure, tout l’air de se destiner plutôt à devenir un «BritBox français», du nom de la plateforme britannique de SVOD lancée par les géants de la télévision anglaise BBC et ITV et qui rassemble leurs contenus dans un souci de rayonnement de la culture télévisuelle britannique dans le monde anglophone. Pourtant, sans aller jusqu’à produire ses propres contenus, Salto s’est attelée, depuis son lancement, à étoffer son catalogue au-delà de ceux de ses maisons-mères par l’acquisition de contenus étrangers. Sur ce point, nous pouvons reconnaître que la plateforme française de SVOD a su marquer des points pour se faire connaître grâce à plusieurs beaux coups. C’est le cas, par exemple, avec l’émission spéciale Friends : les retrouvailles, diffusée le jour-même de la sortie américaine avec des sous-titres en français sur Salto.

D’après le directeur général de Salto Thomas Follin le lendemain de la diffusion, l’émission spéciale de Friends a représenté «21% de la consommation globale de Salto» ce jour-là, soit «plusieurs centaines de milliers de personnes» (sans donner de chiffres précis, comme à son habitude). Ce jour-là, Salto a même vu sa fréquentation bondir de 31% par rapport à la semaine précédente. Autre exemple : alors que le studio américain MGM, qui produit la saga de films James Bond, a été racheté en janvier dernier par le géant du numérique Amazon, laissant croire que les films seraient prochainement disponibles sur sa plateforme de SVOD Amazon Prime Vidéo, c’est sur Salto que l’ensemble des films de la saga se retrouvent en France depuis cet automne.

Pour le moment, aucun chiffre n’a été communiqué à propos d’un potentiel «effet James Bond» sur la fréquentation de la plateforme, mais nul doute qu’à l’instar de l’émission spéciale de Friends, la plateforme a dû en mesurer un. Quoi qu’il en soit, en poursuivant cette stratégie, Salto parviendra peut-être à connaître finalement l’envergure et le rayonnement d’une plateforme telle que l’américaine Hulu (du moins, à l’époque où elle a été lancé et était détenue par les géants américains des médias 21st Century Fox et NBCUniversal, soit avant qu’elle ne se fasse entièrement racheter par Disney).



Des prochains mois encore décisifs


Pour savoir si cela est possible, projetons-nous sur les prochains mois. Le moindre que l’on puisse dire, c’est que Salto n’a pas fini d’être confronté à de grands défis… ni de voir ses maisons-mères lui mettre des bâtons dans les roues.


Salto devrait certes pouvoir continuer de bénéficier du regain d’intérêt du public français à l’égard de la fiction française visible ces dernières années et qui a été particulièrement manifeste en 2020 : en effet, pour la première fois en dix ans, aucune série étrangère ne figure dans le top 20 établi par le CSA des séries les plus regardées à la télévision française en 2020. Plus largement, cet intérêt se voit également à l’international : à en croire une étude du CNC et de UniFrance, la valeur des exportations de programmes audiovisuels français a atteint son plus haut historique en 2020, avec près de 355 millions d’euros. En dix ans, ce montant a même été multiplié par deux.

Parmi les programmes qui séduisent le plus : l’animation (74,7 millions d’euros), la fiction (47 millions d’euros) et les documentaires (46 millions d’euros). Salto a donc les capacités de tirer son épingle du jeu.


D’un autre côté, les obstacles sont nombreux. A commencer par le fait que le droit français vient de transposer une directive de l’Union Européenne de novembre 2018 par rapport au financement de la culture par les plateformes de SVOD étrangères. Conséquence ? Netflix, Amazon Prime Vidéo, Disney+ et autres devront dorénavant consacrer 20% de leur chiffre d’affaires réalisé en France pour financer la production d’œuvres audiovisuelles ou cinématographiques françaises ou européennes. Une bonne nouvelle pour la plupart des acteurs de l’audiovisuel qui s’inquiétaient de voir ces plateformes de SVOD prendre clairement l’ascendant sur le marché, sans parvenir à imaginer jusqu’où cela pourrait aller, alors que celles-ci, en retour, produisaient peu dans l’hexagone ou les outre-mer. Seulement, pour Salto, cette nouvelle ne mènera qu’à un renforcement de la concurrence exercée par les leaders américains du secteur, qui écrasaient déjà tout sur leur passage sans avoir besoin de produire du contenu en France.


Autre obstacle, et de taille : au sein-même de Salto, des problèmes risquent de se poser au vue du comportement des maisons-mères. Tout d’abord, le rapprochement prochain entre TF1 et son principal concurrent privé, M6. Dans un groupe où chaque actionnaire détient un tiers des parts, même si deux d’entre eux sont des groupes privés, le rapport de force peut quand même être relativement équilibré. Mais si ces deux actionnaires privés fusionnent, quel rôle va pouvoir jouer le service public dans la nouvelle organisation du groupe ? Un rééquilibrage à 50/50 des parts de Salto entre privé et public est-il envisageable ? France Télévisions est-il voué à se retirer du projet ? Salto a-t-il vocation à devenir le bras armé du futur TF1-M6 ? Ou à voir son existence condamnée par ce projet de fusion ? De nombreuses interrogations demeurent, pour l’instant, en suspens. Seule indication donnée dans le communiqué commun d’annonce du rapprochement entre les deux groupes : la volonté conjointe de participer au «développement d’une plateforme nationale performante combinant une offre de rattrapage et de streaming fondée sur MyTF1 et 6play, et une offre de SVOD»… sans aucune mention de Salto, qui correspond pourtant au projet décrit là. Au regard de cette déclaration, il ne semble donc pas si surprenant que cela de voir, à la mi-octobre dernier, TF1 annoncer le lancement prochain de MyTF1 Max, sorte de version premium de son service de replay MyTF1, dont l’objectif sera, en échange de 3,99€ par mois, de pouvoir revoir n’importe quel programme d’une chaîne du groupe en HD (Haute Définition, en clair une meilleure qualité d’image) et ce, sans publicité… ce qui revient clairement à concurrencer Salto, dans lequel TF1 est actionnaire, et dont le projet, hormis la HD, est identique. C’est à se demander à quoi joue TF1… Et si, pour en revenir à notre interrogation de début d’article, Salto s’avère être un échec commercial évident et que TF1 ne veut pas lui laisser le temps de trouver son public, considérant qu’elle en a déjà perdu assez ? Même si, à ce stade, rien n’est encore décidé dans la fusion TF1-M6, cela n’augure rien de bon pour la plateforme française de SVOD.



Et vous, que pensez-vous de Salto, un an après son lancement ? Aviez-vous déjà entendu parler de la plateforme de SVOD ? Que pensez-vous que lui réserve l’avenir ?






Vous désirez en savoir plus à propos de ce qui a été abordé ? Ou bien simplement connaître les sources des informations évoquées ? Pas de soucis !

- Marina Alcaraz, Les Echos, Salto, un démarrage en demi-teinte, 22 janvier 2021. Article accessible en ligne : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/salto-un-demarrage-en-demi-teinte-1283637

- Marina Alcaraz, Les Echos, Un an après son lancement, Salto se fait modestement une place, 14 octobre 2021. Article accessible en ligne : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/un-an-apres-son-lancement-salto-se-fait-modestement-une-place-1355102

- Roch Arène, CNet, Pour Netflix & Co, du changement dans le financement de la création française, 24 juin 2021. Article accessible en ligne : https://www.cnetfrance.fr/news/pour-netflix-co-du-changement-dans-le-financement-de-la-creation-francaise-39925123.htm

- Laura B., Sortir à Paris, L’intégralité des films de la saga James Bond débarque sur Salto, 21 septembre 2021. Article accessible en ligne : https://www.sortiraparis.com/loisirs/cinema/articles/260902-l-integralite-des-films-de-la-saga-james-bond-debarque-sur-salto

- Fabio Benedetti Valentini, Les Echos, Record à l’export pour les programmes audiovisuels français, 8 septembre 2021. Article accessible en ligne : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/record-a-lexport-pour-les-programmes-audiovisuels-francais-1344478

- Audrey Fournier, Le Monde, Les grandes ambitions de Salto, 8 juin 2021. Article accessible en ligne : https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/06/08/les-grandes-ambitions-de-salto_6083356_3246.html

- Pascal Lechevallier, ZDNet, SVOD : 8,7 millions d’utilisateurs quotidiens au 1er semestre, 1er août 2021. Article accessible en ligne : https://www.zdnet.fr/blogs/digital-home-revolution/svod-87-millions-d-utilisateurs-quotidiens-au-1er-semestre-39926979.htm

- Le Monde, Il n’y a plus aucune série étrangère dans le top 20 des plus regardées à la télévision en France, 17 septembre 2021. Article accessible en ligne : https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/09/17/aucune-serie-americaine-dans-le-top-20-en-france-en-2020_6095062_3246.html

- Bastien Lion, Les numériques, Rapprochement TF1/M6 : et Salto dans tout ça ?, 18 mai 2021. Article accessible en ligne : https://www.lesnumeriques.com/vie-du-net/rapprochement-tf1-m6-et-salto-dans-tout-ca-n163897.html

- Benjamin Meffre, Puremédias, ‘Friends the reunion’ ‘a battu tous les records’ de visionnage sur Salto, 30 mai 2021. Article accessible en ligne : https://www.ozap.com/actu/-friends-the-reunion-a-battu-tous-les-records-de-visionnage-sur-salto/605034

- Rude Baguette, MyTF1 Max : pourquoi TF1 tire-t-il une balle dans le pied de Salto ?, 15 octobre 2021. Article accessible en ligne : https://www.rudebaguette.com/2021/10/mytf1-max-tf1-tire-balle-pied-salto/

- Webedia, Salle & salon : la grande réconciliation, 14 mai 2020. Etude accessible en ligne : https://static1.fr.webedia-group.com/uploads/2/12/82/@/21203234--webedia-the-boxoffice-company-etude-cinema-series-post-confinement-14052020.pdf

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