Réalité virtuelle : VR une télévision de plus en plus immersive ?
Trois exemples d’évocation de la réalité virtuelle à la télévision : «Halcyon» (en haut à gauche), «Mission Gulliverse» (en haut à droite) et «Vortex» (en bas).
Les nouvelles technologies, la recette pour renouveler les contenus proposés par la télévision ? Plusieurs chaînes ont, en tout cas, accordé un intérêt particulier à la réalité virtuelle ces dernières années. En témoignent deux séries récentes et un nouveau jeu télé : «Vortex» (France 2), «Halcyon» (SyFy) et «Mission Gulliverse» (Gulli).
Métavers, QR code, impression 3D, lunettes connectées, réalité augmentée… Ces dernières années, nombreuses ont été les innovations technologiques à marquer les esprits, faisant débat pour certaines, pendant que d’autres se démocratisent progressivement. Parmi les technologies en bonne voie pour connaître la seconde issue : la réalité virtuelle, aussi connue sous l’acronyme anglais VR («Virtual Reality»).
La réalité virtuelle, qu’est-ce que c’est ?
Tout d’abord, petite piqûre de rappel pour celles et ceux qui en auraient déjà entendu parler (ou pas) sans savoir exactement de quoi il s’agit : d’après une loi française de 2007 qui porte sur le vocabulaire à employer en matière d’informatique, la réalité virtuelle se définit comme étant «un environnement créé à l’aide d’un ordinateur et donnant à l’utilisateur la sensation d’être immergé dans un univers artificiel».
Si, pour s’immerger dans cet univers, le casque est l’option la plus connue et répandue, les techniques sont, en réalité, multiples : l’expérience de la réalité virtuelle peut également se faire grâce à un grand écran ou à une salle immersive cubique. Les usages de cette technologie sont, eux aussi, nombreux : elle peut être destinée à la médecine (formation, thérapies, opération chirurgicale à distance…), à la science, à l’architecture, au commerce (visite à distance d’appartements ou de maisons à louer ou à vendre…), ou encore à la culture et au divertissement (visite de sites historiques détruits ou endommagés reconstitués dans une version intacte, jeux vidéos…).
Alors que les casques de réalité virtuelle et les contenus destinés à ceux-ci commencent seulement à être commercialisés en masse, les chaînes de télévision n’ont pas traîné avant de tenter de s’emparer de cette nouvelle technologie. Mais comment ? Et pour en faire quoi ? Deux questions semblent, dès lors, devoir être posées : quelles représentations sont données à voir de la réalité virtuelle ? Et dans quelle mesure la réalité virtuelle sert la production de contenus télévisés ? Prenons trois exemples.
«Vortex» (2023), mini-série française diffusée par France 2
L’intrigue de notre premier exemple se déroule en 2025. Ludovic (Tomer Sisley), capitaine de police judiciaire à Brest, doit éclaircir les circonstances de la mort d’une femme, retrouvée sur la même plage que Mélanie (Camille Claris), sa première femme et mère de sa fille, il y a vingt-sept ans. Soudain, alors que Ludovic revisionnait la scène de crime reconstituée en réalité virtuelle, Ludovic voit Mélanie, et parvient même à communiquer avec elle. Aussi incroyable que cela puisse paraître, une faille temporelle semble s’être ouverte entre 1998 et 2025. Ludovic prévient aussitôt Mélanie : elle va mourir dans une dizaine de jours dans ce qui ressemble à un accident. Ludovic a alors une occasion inespérée de sauver sa femme. Seulement, le faire peut avoir des conséquences sur sa vie en 2025, lui qui s’est remarié et est père d’un deuxième enfant. Dès lors, que faire ?
Pour voir la bande-annonce de «Vortex», c’est par ici
Dans ce premier exemple, la réalité virtuelle est présentée comme une technologie futuriste mais à portée de main. Même si le caractère récent de cette innovation est souligné (un personnage dit, à un moment, que de nombreuses scènes de crime constatées antérieurement au recours à cette technologie restent à reconstituer en réalité virtuelle à partir des images et vidéos à disposition dans leur dossier), la réalité virtuelle est donnée à voir comme étant devenue un outil parmi d’autres pour permettre à la police de mener l’enquête. La réalité virtuelle est, de plus, banalisée et rendue réaliste par le fait d’être la seule innovation intégrée dans nos vies (du moins à la police) dans ce futur que le public aurait pu confondre avec le présent si la temporalité de l’action ne lui était pas régulièrement signalé, tant ce futur ressemble en tout point à notre présent.
Cette technologie n’est, toutefois, pas montrée comme une innovation particulièrement accessible et intuitive. D’une part, une personne est spécifiquement chargée de la réalité virtuelle au sein du commissariat (de la même façon que c’est le cas avec l’informatique aujourd’hui) et plusieurs dialogues entre Ludovic et cette technicienne soulignent que le fonctionnement de cette technologie serait obscur et complexe. D’autre part, Ludovic doit obligatoirement passer par une pièce spéciale (moins pratique qu’un casque de réalité virtuelle) et utiliser des lunettes connectées pour pouvoir recourir à la réalité virtuelle. Cela n’empêche pas, néanmoins, cette technologie d’être vue comme performante : l’immersion est totale pour Ludovic, et il lui est même possible de prendre des sortes de capture d’écran de ce qu’il voit, ou de faire défiler sous ses yeux des pièces du dossier dont il est en train de revoir la scène de crime.
De même, la réalité virtuelle est présentée comme utile. Que la police recoure à cette technologie pour garder en mémoire de manière plus efficiente que des photos une scène de crime semble un usage insoupçonné de la réalité virtuelle. Pourtant, comme nous pouvons le voir dans la mini-série, celle-ci permet de réexaminer une scène de crime sous différents angles, ou simplement à la lumière de nouveaux indices. Cette reconstitution offre également parfois la possibilité de découvrir des indices à côté desquels la police était passée en se rendant sur place (ici, un message écrit dans le sable par la victime que Ludovic n’avait pas pu lire à temps à cause de la marée haute qui l’avait partiellement effacé). Plus largement, la réalité virtuelle n’a rien non plus de gadget pour l’intrigue de «Vortex». Au contraire, cette idée permet non seulement de rendre possible les intrigues policière et sentimentale au cœur de la mini-série, mais aussi de renouveler l’imaginaire du voyage dans le temps.
«Halcyon» (2016), série américaine proposée par SyFy
Autre série, autre exemple. Nous voici, cette fois, en 2040. L’entreprise Halcyon a contribué à rendre la réalité virtuelle aussi omniprésente au quotidien que le sont les smartphones de nos jours. Afin de prendre le monopole de ce marché, la multinationale entend prochainement commercialiser des implants neurologiques capables de manipuler les cinq sens de son utilisateur ou utilisatrice, de sorte à offrir l’immersion la plus totale possible dans des mondes virtuels. Seulement, la concrétisation de ce projet qui divise la société est mise en péril lorsque le PDG d’Halcyon est soudainement assassiné. Secondée par son assistante Asha (Harveen Sandhu), une intelligence artificielle humanisée et rendue virtuellement visible grâce à l’implant d’Halcyon, Jules (Lisa Marcos), inspectrice pour l’unité des crimes en réalité virtuelle, va se mettre à enquêter sur ce qui ressemble au premier meurtre commis à cause de la réalité virtuelle, jusqu’à découvrir qu’une véritable conspiration se cache derrière cet acte…
Pour voir la bande-annonce de «Halcyon», c’est par ici
A la différence de «Vortex», la réalité virtuelle est clairement présentée comme une technologie futuriste mobilisée, ici, pour convoquer l’imaginaire assez classique d’un futur ultra-technologique à la fois fantasmé et craint. A ce titre, l’implant neurologique qui a été, dans cet avenir hypothétique, inventé et a supplanté le casque de réalité virtuelle et les autres appareils l’est tout autant : fantasmé, d’une part, car il offre un maximum de liberté à cette technologie en permettant de faire apparaître n’importe quoi en réalité virtuelle, n’importe où et n’importe quand ; craint, d’autre part, dans la mesure où l’implant est invasif et qu’il brouille complètement la frontière entre virtuel et réel.
En parallèle de cela, là où «Vortex» donne l’illusion de recourir véritablement à la réalité virtuelle, grâce aux effets spéciaux et à l’abandon du fond vert au profit d’un mur de LED sur lequel est projeté en haute-définition une modélisation en 3D du décor naturel de la scène filmée, «Halcyon» a fait le choix novateur d’être une série hybride. En d’autres termes, si la saison d’«Halcyon» est composée, au total, de quinze épisodes, un tiers d’entre eux sont, en fait, réalisée et proposée au public en réalité virtuelle. Pour celles et ceux qui disposent d’un casque de réalité virtuelle, il est donc possible d’être actif devant cette série en participant à l’avancée de l’enquête de Jules et Asha. Pour les autres, si l’expérience est nécessairement différente, il est quand même possible de suivre l’histoire racontée par la série : chaque épisode proposé en réalité virtuelle tout au long de la saison est résumé au début de l’épisode classique suivant.
«Mission Gulliverse» (2022), jeu télévisé français diffusé par Gulli
Revenons en France. Si la fiction est, pour l’heure, un terrain de jeu plébiscitée pour expérimenter la réalité virtuelle à la télévision, il ne s’agit pas du seul type de programme à la permettre : les jeux en font aussi partie.
C’est ainsi que depuis l’automne dernier, la chaîne pour enfants Gulli propose chaque dimanche en fin d’après-midi «Mission Gulliverse». Ce jeu, qui mise en partie sur la réalité virtuelle, a été présenté comme une première mondiale, en particulier à l’échelle des jeux télé jeunesse. Le principe ? Le «Gulliverse» (néologisme né du mélange entre le mot «métavers» et le nom de la chaîne) est un monde coloré et joyeux où tout le monde aime faire la fête grâce à la musique. Jusqu’au jour où un méchant coupe court à celle-ci en propageant ses fausses notes. Joan Faggianelli et SoAnne, co-animateur et co-animatrice du jeu, ont donc pour mission de recruter de valeureux aventuriers ou aventurières dont le but sera de mettre Juke Boss (jeu de mot avec «jukebox» et le «boss» final d’un jeu) hors d’état de nuire. Concrètement, deux duos d’enfants s’affrontent dans une série de mini-jeux musicaux en plateau et en réalité virtuelle pour remporter des points. A la fin de la partie, le duo qui a marqué le plus de points est qualifié pour affronter Juke Boss dans un dernier mini-jeu.
Pour voir la bande-annonce de «Mission Gulliverse», c’est par ici
L’enjeu est ici différent des deux séries précédemment évoquées : comment donner envie au public, en recourant à la réalité virtuelle, de jouer derrière son écran ? Et comment rendre compte à l’image du côté divertissant de cette technologie, qui l’est avant tout en raison de l’immersion supplémentaire qu’elle permet, immersion possible que pour les candidates et candidats du jeu ? A chaque limite, le programme avance des solutions. D’un côté, proposer des mini-jeux simples (danse, culture générale, mémorisation…) et alterner entre les mini-jeux en plateau et en réalité virtuelle tout au long de l’émission. De l’autre, créer des mini-jeux en réalité virtuelle «pensés pour que le joueur ait à réaliser des mouvements visuels et drôles (courir, ramper, lever la jambe…)», mais aussi pour qu’ils ne fassent appel qu’à une des personnes du binôme, de sorte à ce que l’autre enfant n’ait à participer ou à aider durant le mini-jeu que depuis le plateau.
Finalement, la réalité virtuelle est peu visible à l’écran durant «Mission Gulliverse»: le public voit uniquement les enfants enfiler le casque de réalité virtuelle et prendre les manettes en main. Pour le reste, tout est retransmis sur un écran en plateau, généralement avec une vue d’ensemble sur le mini-jeu au détriment de la vue immersive à laquelle a le droit le candidat ou la candidate. Seule exception : lorsque Joan Faggianelli montre quelques images des coulisses pour se moquer gentiment des gesticulations des enfants avec le casque de réalité virtuelle sur leur tête pendant les mini-jeux. A ce moment-là, le public peut alors apercevoir brièvement la salle où est emmené le candidat ou la candidate pour les mini-jeux en réalité virtuelle (une pièce entièrement vide et blanche).
Bientôt de la publicité en réalité virtuelle ?
A noter : ces différentes productions télévisées ne se sont pas arrêtées là quant à leur recours à la réalité virtuelle. En effet, celle-ci leur a également servi dans le cadre de leur communication et de leur campagne de promotion autour de leur diffusion.
Un partenariat a ainsi été passé entre France Télévisions et l’entreprise américaine de casques de réalité virtuelle Meta Quest afin de proposer un escape game gratuit en réalité virtuelle qui reprend l’univers de «Vortex». Baptisé «Vortex VR», l’escape game a été coécrit avec les scénaristes de la mini-série. Pour l’occasion, Tomer Sisley a accepté de reprendre son rôle de Ludovic, qui vient guider le joueur ou la joueuse dans sa partie.
Lors de la diffusion de «Halcyon», SyFy, elle, a décidé d’organiser une projection du premier épisode en première mondiale, suivie d’une rencontre avec le créateur de la série, uniquement en réalité virtuelle, grâce à l’entreprise américaine AltspaceVR.
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