Qatar : une semaine de football masculin, d’environnement et de droits LGBT+ vu par le petit écran
De haut en bas, de gauche à droite : «L’équipe de Greg» (L’Equipe), «Quotidien» (TMC),
«Le JT» (TF1) et «C à vous» (France 5). (Captures d’écran)
Boycott ou pas boycott ? L’heure de la compétition venue, nombreux ont été les médias à être divisés face à ce choix à faire vis-à-vis d’une coupe du monde pas comme les autres. Televidilo a suivi la première semaine de compétition uniquement grâce à la télévision pour voir qui du ballon rond ou du Qatar serait réellement au centre de l’attention.
«Coupe du monde au Qatar : la fête malgré tout ?» Par cette question posée le jour du coup d’envoi de la compétition sportive, le JT de France 2 résume bien le dilemme auquel est confronté une bonne partie des supporters et des supportrices françaises tentées de suivre cette coupe du monde de football masculin pas comme les autres.
Pourquoi ? Les raisons sont multiples. Environnementale d’une part : l’annonce de la climatisation des stades ouverts sous à peine vingt à trente degrés a provoqué un véritable tollé au retentissement mondial. Sociale d’autre part, du fait du bilan humain dramatique de cette coupe du monde (environ 6500 travailleurs immigrés décédés sur les chantiers de construction des stades, d’après une estimation du journal anglais The Guardian). Sociétale enfin, de nombreux pays occidentaux reprochant au pays-hôte de bafouer régulièrement les droits humains, en particulier ceux des personnes LGBT+.
Pour toutes ces raisons, de multiples appels au boycott, peu suivis d’effets, pour l’heure, en France, ont été lancé. Si le petit écran a été à l’origine de nombreux débats, reportages et documentaires à ce propos ces derniers mois, qu’en est-il désormais que la compétition bat son plein ? Pour le savoir, nous avons suivi la première semaine de la coupe du monde en cours uniquement grâce à la télévision : d’abord, sur TF1 (et TMC), en tant que diffuseuse officielle de la compétition ; puis, sur France 2, France 3 et France 5, en qualité de chaînes publiques et principales chaînes concurrentes qui ne sont pas partenaires de cette coupe du monde ; et enfin, sur L’Equipe, dans la mesure où il s’agit d’une chaîne entièrement dédiée au sport, qui plus est la seule à être gratuite.
Une couverture médiatique moindre des polémiques et autres critiques de la coupe du monde au Qatar que de sa dimension sportive
Rapidement, un premier constat peut être formulé : le volume de contenus consacré à la coupe du monde au Qatar est certes conséquent (au moins entre 3h et 4h par jour, hors matchs et débriefs) et croit de manière linéaire jour après jour. En revanche, celui qui s’attache au contexte environnemental, social et sociétal de la compétition ne représente qu’une faible proportion du volume de contenus consacré à la coupe du monde et cesse d’augmenter quelques jours après le début de la compétition.
Temps d’antenne cumulé (TF1, TMC, France 2, France 3, France 5 et L’Equipe) consacré à la coupe du monde au Qatar et à son contexte environnemental, social et sociétal. // Graphique : Mathilde Toulotte.
Comment expliquer, dès lors, ce constat ? Des journalistes ressentiraient-iels un sentiment de malaise, voire la conviction d’une incompatibilité, à couvrir la coupe du monde au Qatar d’un point de vue sportif tout en faisant preuve d’esprit critique en relayant les polémiques et autres critiques qui l’entourent ? A ce titre, le premier match des Bleus mardi 22 novembre pourrait avoir servi d’élément déclencheur, qui a conduit le traitement sportif, par chauvinisme, à prendre le pas sur le reste de la couverture médiatique accordée à la compétition à partir de mercredi. Nous verrons plus tard que certaines chaînes arrivent, pourtant, à très bien faire la part des choses.
Est-ce que la stagnation de la production de contenus critiques constatée à partir du milieu de semaine est due à un essoufflement des idées d’angles par lesquels traiter des divers enjeux autour de la coupe du monde au Qatar ? Probablement pas, dans la mesure où les enjeux environnementaux, et encore plus sociaux, n’ont pratiquement jamais été abordé en une semaine de compétition. En ce qui concerne les enjeux sociétaux, le sujet a été en partie traité étant donné que l’actualité de la coupe du monde au Qatar s’y prêtait, entre la polémique par rapport au brassard «One love», ou encore les gestes politiques de certaines équipes. De plus, rares ont été les contenus à rentrer dans le détail des conditions de vie des personnes LGBT+ au Qatar ou, plus largement, à parler du modèle de société promu par les autorités qataries, notamment pour les femmes.
Dans le contexte de fort contrôle des autorités qataries sur l’image du pays durant cette coupe du monde à l’enjeu d’image élevée pour elles, serait-il trop compliqué pour les chaînes de télévision de produire de nouveaux reportages sur place au sujet du contexte environnemental, social ou sociétal de cette coupe du monde ? Possible, mais dans ce cas, qu’est-ce qui les empêche de rediffuser des reportages tournés et diffusés il y a quelques mois ?
Une importante couverture médiatique proposée par TF1 et L’Equipe, mais clairement plus équilibrée chez TMC et France 5
En se penchant plus en détail sur la couverture médiatique proposée par chacune des chaînes étudiées au fil de la première semaine de la compétition, d’autres constats s’imposent.
Programmes étudiés : pour TF1, «Téléfoot» (magazine hebdomadaire consacrée au football) et le JT du soir ; pour TMC, «Quotidien» (talk-show quotidien) ; pour France 2, le journal de 20h ; pour France 3, «Stade 2» (magazine hebdomadaire dédiée au sport) ; pour France 5, «C à vous» (talk-show quotidien) ; et pour L’Equipe, «L’équipe de Greg» et «L’équipe du soir» (programmes sportifs quotidiens). // Graphique : Mathilde Toulotte.
Sans surprise, la chaîne sportive L’Equipe est celle qui a parlé le plus de la coupe du monde au Qatar durant la première semaine de la compétition, avec 90,15% du temps total d’antenne étudié, suivie de TF1, diffuseuse officielle de la compétition en France, avec 51,55%. Le positionnement multiple du service public vis-à-vis de cette coupe du monde controversée se distingue déjà à travers ces chiffres différents pour ses trois chaînes. Pour France 2, c’est service minimum pour son JT de 20h (4,2%) : dans la mesure où celui-ci est diffusé, chaque soir, en même temps qu’un match de la coupe du monde sur TF1, si le public est devant la deux, c’est qu’en théorie, le football ne l’intéresse pas. Il est donc logique pour la chaîne (la plus suivie à cette heure après TF1) d’avoir valeur de contre-programmation aux yeux du public. Malgré tout, France Télévisions ne néglige pas toutes celles et ceux pour qui l’actualité les intéresse simplement davantage que le foot : sur France 5, le talk-show «C à vous» se propose chaque soir, à la même heure que le journal de France 2, d’y revenir plus longuement (11%), et avec davantage de liberté sur le fond et la forme qu’un JT, mais sans pour autant négliger les autres sujets à la une de l’actualité. Enfin, pour les passionné/e/s de sport au sein du public du groupe, France 3 tente le compromis entre les deux dans «Stade 2», le magazine sportif dominicale du service public : d’un côté, la coupe du monde au Qatar est abordée car l’impasse ne peut être faite sur la compétition phare de ce sport populaire ; de l’autre, le programme ne traite pas que de la dimension sportive de cette coupe du monde au Qatar et y accorde la même importance que pour n’importe quelle compétition majeure de n’importe quel sport, de sorte à se distinguer de la surmédiatisation du football au détriment des autres sports proposée par TF1 pendant un mois.
Graphique : Mathilde Toulotte.
Rapportés au temps d’antenne consacré au contexte environnemental, social et sociétal de la coupe du monde au Qatar, ces chiffres ne nous apprennent pas la même chose de la couverture médiatique proposée par chacune des chaînes observées. En réalité, TMC (via «Quotidien») et France 5 (avec «C à vous») se démarquent en ayant consacré pratiquement autant de temps aux polémiques et autres critiques autour de la coupe du monde au Qatar (57,9% pour l’un, 53,3% pour l’autre) qu’aux performances sportives lors de celle-ci. Loin derrière, les autres chaînes du service public ne suivent étonnamment pas la même ligne que France 5 sur ce point (25% pour France 2, 11,1% pour France 3). Au sein du groupe TF1 en revanche, la divergence de position entre TF1 (2,2%) et TMC (du moins, en partie en apparence, puisque «Quotidien» est passé en best-of mardi 22 novembre à l’occasion du premier match des Bleus retransmis au même moment sur TF1, ce qui est loin d’être un geste anodin) paraît davantage consciente et assumée : elle permet ainsi, à l’échelle du groupe, de jouer sur les deux tableaux, en tentant de capter à la fois l’attention des supporters et supportrices de football et celle des personnes critiques à l’égard de la tenue de cette coupe du monde au Qatar. Quant à L’Equipe (3,1%), il est indéniable, comme nous le constaterons par la suite, que la chaîne est partiellement sensible au contexte dans lequel s’inscrit cette édition 2022 de la coupe du monde. Pour autant, cette intérêt peine, de toute évidence, à se matérialiser par des contenus capables d’irriguer une grille des programmes dont la particularité, en tant que chaîne sportive, est d’accorder plusieurs heures par jour à cet évènement sportif.
Traiter de la coupe du monde au Qatar, une nécessité complexe pour les JT ?
Avant de s’arrêter sur le cas de L’Equipe, revenons, tout d’abord, sur celui des JT du soir de TF1 et de France 2. Quelle place peut occuper la coupe du monde au Qatar dans ce grand rendez-vous de l’information ? Première divergence entre la chaîne privée et la chaîne publique : l’espace physiquement occupé par l’évènement sportif sur le plateau du journal.
Le JT du soir de TF1 du lundi 21 novembre 2022. (Captures d’écran)
Sur TF1, l’espace important accordé illustre bien le fait que le JT est mis au service de la couverture de la coupe du monde au Qatar dont la chaîne est partenaire : dès lors que le sujet est évoqué, le décor en arrière-plan se transforme pour faire place à des images des Bleus et de la compétition. Plus que des images ou des vidéos d’illustration, comme il arrive également au JT de France 2 d’en diffuser sur le plateau durant l’introduction d’un reportage, il s’agit plutôt ici d’un décor récurrent, qui sert à manifester l’ouverture de la page spéciale du JT consacrée à la compétition. Chose rare : même la vue de la capitale derrière Anne-Claire Coudray ou Gilles Bouleau s’efface, ici au profit d’une cage de but dans un stade bondé, durant cette page spéciale.
Autre point de divergence : la hiérarchie de l’information.
Tableaux : Thomas Pouilly.
D’une part, TF1 et France 2 accordent rarement la même place à la coupe du monde au Qatar dans le sommaire de leur JT (si ce n’est au moment de deux actualités importantes, à savoir le coup d’envoi de la compétition dimanche 20 novembre et la qualification des Bleus pour les huitièmes de finale samedi 26 novembre). D’autre part, si les deux chaînes sont, en revanche, plutôt raccords en ce qui concerne la place accordée à la compétition au sein de leur journal, elles semblent l’être, en réalité, pour des raisons distinctes : pour France 2, parce que le sujet est considéré par la rédaction comme d’importance secondaire par rapport aux autres actualités abordées ; pour TF1, parce que le programme qui suit est la retransmission d’un nouveau match de la coupe du monde, si bien qu’il faut faire monter la pression d’ici là et encourager celles et ceux devant le JT à rester devant la une pour la suite de la soirée.
Là où TF1 et France 2 se rejoignent, c’est dans la couverture critique proposée du coup d’envoi de la coupe du monde au Qatar. Dimanche 20 novembre, Anne-Claire Coudray (TF1) introduit ainsi le premier reportage de son journal consacré à la compétition en rapportant que «le Qatar a donné le coup d’envoi de la coupe du monde la plus polémique de l’histoire, polémiques auquel le pays a tenté de répondre avec symboles et grand discours lors de sa cérémonie d’ouverture», proposant ensuite de découvrir quelques images d’«un spectacle déroutant». Plus tard, dans un reportage, Alison Tassin, envoyée spéciale du JT de TF1 au Qatar, fait la démonstration de façon très simple de l’absurdité du système de climatisation des stades, à l’occasion du match d’ouverture de la compétition :
Le 20h de TF1 du dimanche 20 novembre 2022. (Captures d’écran)
«27 degrés dehors : pas de quoi activer la climatisation des stades, si décriée pour son impact sur l’environnement. Il y a même un petit vent frais qui souffle. On a presque froid. Mais on va quand même aller voir ce qui se passe à l’intérieur. Vérification faite à l’intérieur du stade : oui, il y a bien la climatisation, et elle tourne même à plein régime. 20 degrés à l’intérieur.»
Toutefois, les autres critiques formulées à l’encontre de la tenue de la coupe du monde au Qatar ne sont pas mentionnées ce jour-là. De son côté, Laurent Delahousse (France 2) introduit le reportage sur la cérémonie d’ouverture de la compétition en parlant de «consécration, aux yeux du Qatar, de son ascension sur la scène internationale», tout en rappelant qu’il s’agit d’un «soft power intranquille qui doit faire face à des critiques multiples», avant de se demander s’il s’agit «réellement d’une source de préoccupation pour Doha». Le reportage prend, ensuite, soin de préciser que «cette coupe du monde est entachée de nombreuses polémiques : les stades climatisés, le traitement des ouvriers sur les chantiers, le déni des droits des homosexuels sont autant de sujets qui embarrassent les organisateurs».
Autre point commun entre les JT de TF1 et de France 2 : malgré une couverture critique du coup d’envoi de la coupe du monde au Qatar, les occasions manquées sont, dans les jours qui suivent, légions. En témoigne, par exemple, un reportage de TF1 diffusé lundi 21 novembre, qui propose de découvrir les manières dont les françaises et les français se préparent, à la veille du premier match des Bleus, à suivre la rencontre. Seulement, parmi les personnes interrogées, aucune personne qui boycotte la compétition cette année n’y figure. Une absence dommageable dans la mesure où, qu’elles soient finalement majoritaires ou non, ces personnes représentent tout de même une proportion non-négligeable de la population. A ce sujet, le message porté par le reportage est, d’ailleurs, implicite mais clair : à la fin de ce dernier, alors que nous pouvons voir une bande de jeunes chanter «Et pour les Bleus, allez, allez ! Et pour la France, allez, allez !», le journaliste conclut en disant en voix-off «L’état d’esprit d’un pays résumé en une chanson». Autre illustration : le 20h de France 2 du dimanche 27 novembre, qui infléchit curieusement sa position en consacrant tout un reportage sur le «droit de rêver» des supporters et des supportrices françaises après la qualification de l’équipe de France pour les huitièmes de finale de la coupe du monde. Si TF1 a à peine attendu l’entrée des Bleus dans la compétition pour développer et promouvoir un récit médiatique selon lequel suivre les performances des Bleus serait avant tout et surtout «bon pour le moral» (mercredi 23 novembre) ou «remonte le moral» (dimanche 27 novembre), il semblerait que ce soit la qualification des Bleus qui ait été le moment de bascule pour France 2, qui cède finalement, elle aussi, à une forme de violence symbolique dans les termes employés et les reportages proposés, comme si le réconfort d’une part importante des françaises et des français (ainsi que les bonnes relations avec la Fédération Française de Football) vaut bien de détourner le regard au sujet des conséquences environnementales, sociales et sociétales de cette coupe du monde au Qatar.
Seuls exemples de reportages entièrement dédiés à ces thématiques : le JT du jeudi 24 novembre pour TF1, qui a testé s’il est réellement possible de se rendre à l’ensemble des matchs de la compétition en transports en commun comme l’affirment les autorités qataries (spoiler alert : non), et le 20h du lundi 21 novembre pour France 2, qui a proposé un point sur «le brassard banni de la compétition», dans lequel Julien Pontes, co-fondateur et porte-parole du collectif «Rouge direct contre l’homophobie dans le foot», rappelle au moins qu’au Qatar, les personnes LGBT+ sont «persécutées» et «risquent la peine de mort».
Le talk-show, un format plus propice à une couverture médiatique riche et équilibrée qu’un JT ?
En raisonnant à l’échelle des deux groupes, le poids de ce récit médiatique dans la couverture télévisuelle de la coupe du monde au Qatar paraît, toutefois, à nuancer, notamment après avoir porté notre intérêt sur les principaux talk-shows des groupes TF1 et France Télévisions, à savoir, pour l’un, «Quotidien» sur TMC et, pour l’autre, «C à vous» sur France 5. En quoi se distinguent-ils des JT de TF1 et France 2 ?
Les libertés et la plasticité qu’offrent le format du talk-show par rapport à celui du JT jouent, tout d’abord, pour beaucoup : en durant trois fois plus longtemps que les journaux de leurs groupes, et en mélangeant information et divertissement, «Quotidien» et «C à vous» ont davantage de marges de manœuvre. C’est ainsi que dans le même numéro du jeudi 24 novembre, le public de «Quotidien» peut : voir l’animateur Yann Barthès faire preuve de sarcasme et de mauvaise foi en début d’émission, en proposant un tuto brassard «One love» «à l’attention des Bleus, car ils sont infoutus de le mettre», le tout sur la musique à suspens du jeu télévisé culte «Qui veut gagner des millions» ;
«Quotidien» du jeudi 24 novembre. (Captures d’écran)
découvrir un peu plus tard un portrait de Gianni Infantino, président de la FIFA qui, en tant que fervent défenseur de la tenue de cette coupe du monde au Qatar, cristallise les critiques autour de sa personne ; et enfin, rire en fin d’émission d’une blague à ce sujet lors de la chronique humoristique de Pablo Mira, qui la conclut en déclarant :
«Quotidien» du jeudi 24 novembre. (Capture d’écran)
«Avant de se quitter, l’image du jour : c’est ce supporter qui était juste en-dessous de la clim du stade pendant le match France-Australie. Pas chaud…»
Cette première semaine de compétition passée devant le petit écran a, d’ailleurs, été l’occasion de remarquer que la coupe du monde au Qatar constitue un terrain assez fertile pour les chroniques humoristiques. Une approche de cette compétition rare en dehors des deux talk-shows, mais originale et qui met en évidence la palette de possibilités en termes de couverture médiatique. Parmi les autres tentatives à relever : celle d’Alison Wheeler pour sa chronique dans «Quotidien» mercredi 23 novembre, lors de laquelle, comme chaque semaine, l’humoriste commence par fact-checker une vraie-fausse infox (inventée de toutes pièces mais qui s’inspire d’une ou plusieurs vraies actualités) :
«Quotidien» du jeudi 24 novembre. (Capture d’écran)
«L’infox du jour, c’est cette déclaration d’Hugo Lloris qui aurait fait suite à la polémique sur le brassard arc-en-ciel et qui dit ceci : ‘Je suis gardien mais mes buts, c’est pas la cage aux folles.’ C’est faux, il n’a jamais dit ça. Même si, bon, on n’est pas à l’abri de retrouver une vieille interview dans laquelle il dit bien pire.»
Autre illustration : Bertrand Chameroy, qui, en préambule de sa chronique humoristique dans «C à vous» lundi 21 novembre, a déclaré :
«A la une de ce 21 novembre : il y a des moments où il faut savoir remiser le nez rouge au placard pour parler avec le cœur. Voici un message fort que je tenais à adresser ce soir à nos téléspectateurs : parce qu’à nos yeux, les droits humains prévalent sur le business et le spectacle, parce que ces stades ont eu un prix – des vies humaines –, parce que chacun doit pouvoir vivre sa sexualité comme il l’entend, librement, nous avons décidé de boycotter la coupe du monde au Qatar… et accessoirement parce qu’on n’a pas les droits de diffusion des matchs, qui coûtent une blinde. Sinon, on aurait fait comme les autres, on aurait fait des tartoches de ces trucs, comme tout le monde. Mais vu le prix de la minute, si je diffuse un extrait de match, on ferme la boutique, c’est rideau direct.»
En termes de libertés offertes par le format du talk-show, «C à vous» a également démontré cette semaine qu’il est plus aisé pour les talk-shows que pour les JT de se permettre d’afficher un parti-pris et d’engager un débat. C’est ainsi que «C à vous» a proposé à plusieurs reprises un plateau d’invités pour pouvoir échanger au sujet de la coupe du monde au Qatar. Ont été reçu, mardi 22 novembre : Jean-Philippe Leclaire, directeur adjoint de la rédaction du journal sportif «L’Equipe», et Raphaël Enthoven, philosophe et co-fondateur du journal «Franc-tireur», dont les médias ont tous les deux fait leur dernière une sur la compétition. Le lendemain, mercredi 23 novembre, c’était au tour de Denis Brogniart, présentateur des débriefs des matchs de la coupe du monde sur TF1, et de Patrick Bruel, chanteur connu pour être un grand supporter des Bleus, de venir autour de la table de «C à vous». Outre par des interviews, ce parti-pris s’affirme aussi par le biais d’un éditorial assuré chaque soir par le chroniqueur Patrick Cohen. Dans sa chronique du mardi 22 novembre, ce dernier rappelle, de cette manière, que «le Qatar envoie les homosexuels en prison et, avec la complicité de la FIFA, il interdit toute expression de solidarité depuis le début du Mondial, et pas seulement pour les joueurs sur le terrain», avant de dresser un portrait peu élogieux de Gianni Infantino, puis de mettre en évidence le décalage entre la promesse initiale du Qatar avec son clip de candidature diffusé lors de l’attribution de l’organisation de cette coupe du monde en 2010 et la réalité de celle-ci actuellement.
L’Equipe : le choix d’un public averti plutôt qu’ignorant ou puni ?
Et L’Equipe dans tout ça ? En tant que chaîne entièrement dédiée au sport, a-t-elle montré l’exemple ? Dans la mesure où L’Equipe privilégie habituellement le direct et les débats sur les résultats ou l’actualité sportive du moment, il paraissait peu probable que le contexte environnemental, social et sociétal de la coupe du monde au Qatar ressorte comme l’un des principaux sujets abordés à l’écran.
Graphique : Mathilde Toulotte.
La réalité n’a finalement pas démenti les suppositions que nous pouvions émettre en amont de la première semaine de compétition, à quelques subtilités près. Grâce à la polémique par rapport au brassard «One love», ou encore aux gestes politiques de certaines équipes lors des premiers jours de la compétition, le contexte sociétal de la coupe du monde au Qatar a ainsi pu être abordé, que ce soit à travers des brèves d’actualité et des débats.
Plusieurs sujets de débat proposés par L’Equipe au sujet des enjeux sociétaux autour de la coupe du monde au Qatar durant la première semaine de compétition.
Mais de la même façon que pour les autres chaînes observées, les enjeux environnementaux et sociaux n’ont pratiquement jamais été évoqué, tandis que pour ce qui est des enjeux sociétaux, le sujet n’a été qu’en partie traité puisqu’aucun contenu rentrant dans le détail des conditions de vie des personnes LGBT+ au Qatar n’a été proposé, de même que, plus largement, sur le modèle de société promu par les autorités qataries.
Néanmoins, il peut difficilement être reproché aux équipes de L’Equipe, dès lors qu’elles se sont emparées de ces sujets, de ne pas les avoir évoqué avec le plus grand des sérieux et des sens de l’engagement. Lors de «L’équipe du soir» du mercredi 23 novembre, l’équipe de chroniqueurs et de chroniqueuses est, par exemple, allée jusqu’à se demander si le geste de l’équipe d’Allemagne, qui a mimé d’être bâillonnée sur la photo officielle de son premier match en guise de protestation contre la décision de la FIFA, fera date, convoquant deux images historiques dans le monde du sport, à savoir celle des jeux olympiques de 1968 et celle d’un match de football américain en 2016, pour les comparer à ce geste.
«L’équipe du soir», mercredi 23 novembre. (Captures d’écran)
Autre signe que L’Equipe accorde de l’importance à ce sujet : en écho à la polémique autour du brassard «One love», à l’occasion de la première journée de compétition, lundi 21 novembre, la chaîne a laissé un de ses chroniqueurs, Olivier Rouyer, porter un brassard arc-en-ciel en soutien aux personnes LGBT+ vivant au Qatar durant l’une des émissions.
«L’équipe de Greg», lundi 21 novembre. (Capture d’écran)
A l’issue de la diffusion d’un magnéto portant sur ce sujet, le chroniqueur a même été rejoint par le présentateur du programme, Grégory Ascher. «Ecoutez, chacun réagit comme il veut. Je vous accompagne Olivier, pour que vous ne soyez pas seul sur ce plateau. C’est bien légitime aussi.», déclare le présentateur pour accompagner son geste.
«L’équipe de Greg», lundi 21 novembre. (Capture d’écran)
Le fait que ce brassard symbolique n’ait pas été porté à nouveau durant le reste de la compétition peut, néanmoins, être déploré.
En dehors de ces deux séquences marquantes, les débats proposés sur L’Equipe ont, sinon, permis d’entendre de nombreuses questions et d’exposer un certain nombre d’arguments. Par exemple ? Est-ce vraiment aux footballeurs de prendre position et de faire ce que la FFF et la FIFA n’ont pas eu le courage de faire jusqu’alors ? N’est-ce pas incohérent de la part de la FIFA d’encourager régulièrement, d’un côté, les joueurs à s’engager contre le racisme, et de l’autre, lors de cette coupe du monde, à leur interdire de s’engager contre l’homophobie ? Est-ce que nos sociétés ne se réveillent pas un peu tard, sachant que l’organisation de cette coupe du monde a été attribué en 2010 ? Est-ce qu’au fond, porter un brassard est un geste réellement utile et audacieux ? Quel intérêt présente l’alternative dépolitisée au brassard «One love» proposée par la FIFA ? Pourquoi n’a-t-on pas autant fait «un procès en moralité» à d’autres précédents pays organisateurs de la coupe du monde, à l’instar de la Russie, tout aussi problématique sur certains sujets que le Qatar ? Est-ce dû au fait que cette coupe du monde se déroule pour la première fois dans un pays arabe ? Si l’ensemble de ces questions n’ont pas trouvé de réponses en retour, elles auront au moins certainement permis de susciter ou d’alimenter des réflexions auprès du public de la chaîne.
L’Equipe ne s’est, en tout cas, pas privé de recourir, à l’instar des talk-shows de TMC et France 5, à l’humour pour parler de la coupe du monde au Qatar, principalement à travers «La petite lucarne», chronique quotidienne de Pierre-Antoine Damecour. C’est ainsi que le lundi 21 novembre, ce dernier s’est gentiment moqué des personnes qui affirment boycotter la compétition, en imaginant un micro-trottoir «Pour ou contre le boycott de la coupe du monde ?» avec quatre passants aux profils-types qu’il campent de manière caricaturale. Dans sa parodie, tous sont favorables au boycott, seulement : le premier est surpris en train de faire des paris sportifs sur la compétition ; le deuxième déclare boycotter tous les matchs… sauf ceux des Bleus… et sauf ceux des grandes nations de football… et sauf ceux du pays-hôte de la coupe du monde ; le troisième n’aime pas le football et n’aurait pas suivi la compétition, qu’elle se déroule au Qatar ou ailleurs ; et le quatrième croise un ami qui lui rappelle qu’ils ont prévu de regarder un match ensemble du soir-même.
«L’équipe de Greg», lundi 21 novembre. (Capture d’écran)
Un bilan décevant mais avec quelques points positifs à retenir
A l’issue de cette première semaine de compétition, quels enseignements tirer du regard porté par le petit écran dessus ? Sans surprise, non seulement les chaînes de télévision susceptibles de parler de la coupe du monde au Qatar n’ont pas suivi les appels au boycott, mais la couverture médiatique accordée aux polémiques et autres critiques a été relativement faible. Toutefois, si le contexte social de cette compétition n’a fait l’objet que de quelques rares mentions, tandis que sa dimension environnementale a eu le droit à un nombre de reportages ou de séquences plus important mais tout aussi faible, le contexte sociétal, à travers la question des droits des personnes LGBT+ au Qatar, a eu un écho significatif auprès de l’ensemble des médias étudiés, si ce n’est sur TF1, et dans une moindre mesure L’Equipe, grâce à l’actualité, en l’occurrence la polémique vis-à-vis du brassard «One love». A l’échelle des chaînes, chaque groupe semble avoir joué la carte du collectif pour que chacune de ses chaînes puisse s’adresser à un public différent durant cette coupe du monde, entre celles et ceux qui la suivent, celles et ceux qui la boycottent et celles et ceux qui sont indifférents vis-à-vis de celle-ci. Ainsi, aucune réelle différence de traitement n’a été observé entre chaînes privées et service public : en témoigne les talk-shows «Quotidien» et «C à vous», qui ont proposé le traitement le plus équilibré des divers enjeux de la coupe du monde au Qatar et qui sont diffusés, pour l’un, sur une chaîne privée (TMC, groupe TF1), et pour l’autre, sur une chaîne publique (France 5, groupe France Télévisions). A noter enfin : la richesse des formats auxquels ont recouru les médias observés dans leur ensemble pour traiter du contexte environnemental et sociétal de la coupe du monde au Qatar, que ce soit des brèves d’actualité, des reportages, des débats, des chroniques, ou encore de l’humour.
Reste désormais à voir comment a évolué et continuera d’évoluer le traitement médiatique de cette compétition jusqu’à la finale ce dimanche.
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