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«Plus belle la vie» pour les représentations LGBT+, l’héritage de «PBLV» aux séries françaises ?



De gauche à droite : Léa et Cristal, un des premiers couples lesbiens de «Plus belle la vie» ; Thomas et Gabriel, lors du tout premier mariage gay célébré dans le feuilleton ; Kévin et Alexandra, personnage trans incarné par une femme transgenre. / Montage : Thomas Pouilly.


Le Mistral souffle fort du côté de France 3. Ce vendredi 18 novembre 2022, «Plus belle la vie» va dire adieu à ses fidèles lors d’une soirée spéciale. L’occasion de rappeler qu’en dix-huit ans de diffusion quotidienne, le feuilleton télé a grandement participé à l’existence de représentations LGBT+ dans les fictions sur nos écrans.



On n’est vraiment rien sans elles ? Si la chanson du célèbre générique de «Plus belle la vie» ne faisait probablement pas référence aux communautés LGBT+, elle aurait pu, tant le feuilleton quotidien de France 3 a marqué les esprits pour son ambition d’être à l’avant-garde en termes de visibilité et de représentations sur les sujets de société du moment, et notamment en matière de droits LGBT+.



Des personnages LGBT+ dès le premier épisode en 2004


Sur les 3290 personnages qu’a introduit «Plus belle la vie» en dix-huit saisons, au moins cinquante d’entre eux ont, ainsi, été LGBT+.

Gary Roustan (@garyroustan), 28 mars 2020, Twitter.


Un nombre dérisoire à l’échelle de l’ensemble des personnages dans le feuilleton ? Un chiffre à relativiser comparé à la proportion de personnages LGBT+ dans les autres séries françaises des années 2000 et 2010 ? A vous d’en juger.


Des personnages LGBT+ apparaissent, quoi qu’il en soit, dans «Plus belle la vie» dès sa première saison en 2004 : Céline Fremont (Rebecca Hampton) pour les personnes bisexuelles, et ce dès le tout premier épisode ; Christelle Le Bihac (Valentine Carette, puis Juliette Wiatr) pour les personnes lesbiennes à partir du 16e épisode ; ou encore Thomas Marci (Laurent Kérusoré) en mars 2005 pour les personnes gays. Pour ce qui est des autres identités sexuelles ou de genre, il faut attendre plus longtemps : la saison 9 en 2013 pour l’asexualité, avec Léa Leroux (Charlotte Deysine, puis Marie Hennerez), puis la saison 14 en 2018 pour la pansexualité, avec Tom Gassin (Sam Chemoul), et pour la transidentité, avec Antoine Bommel (Enola Righi).

plusbellelavie.org


Les personnes intersexes n’ont, en revanche, jamais été représenté dans le feuilleton.



Thomas Marci et Léa Nebout, deux personnages LGBT+ symptomatiques de l’ambivalence des représentations du feuilleton


«Derrière ce que l’on met dans ‘représentation LGBT’, il peut y avoir des réalités bien différentes», nous rappelle, toutefois, Natacha Chetcuti-Osorovitz, enseignante-chercheuse à Centrale Supélec et spécialisée dans les sociologies carcérale, du genre et des sexualités. «La visibilisation n’est pas seulement une question de récurrence des personnages, mais aussi et surtout du traitement qui leur est réservé : bénéficient-ils d’une image positive ou sont-ils condamnés, voués au malheur et à l’opprobre, comme cela a été longtemps fait dans les médias ou au cinéma ?», nous fait remarquer Stéphanie Arc, autrice, journaliste scientifique et chercheuse intéressée par les questions du lesbianisme et des discriminations.

Gary Roustan (@garyroustan), 28 mars 2020, Twitter.


Il est, ainsi, intéressant de constater, par exemple, que plus de la moitié des personnages LGBT+ de «Plus belle la vie» ne sont apparus que dans une seule saison et que seuls deux d’entre eux sont présents dans chaque saison du feuilleton depuis son lancement.


Parmi les personnages LGBT+ de «Plus belle la vie» qui ont marqué Stéphanie Arc et Natacha Chetcuti-Osorovitz, nous retrouvons le couple Thomas-Gabriel (Laurent Kérusoré et Joakim Latzko), ensemble depuis 2011. «Ce qui est assez étonnant avec ce couple gay, c’est qu’il est devenu central, permanent dans la série, qui plus est normalisé par le fait qu’ils deviennent parents, explique Natacha Chetcuti-Osorovitz. Ce couple fait presque figure de stabilité par rapport aux autres couples, hétérosexuels, qui, eux, se font, se défont, se refont ailleurs. Même le couple le plus âgé et à la plus longue longévité dans la série, Roland et Mirta, s’est séparé», poursuit-elle. Le personnage de Thomas Marci fait presque figure d’exemple depuis deux décennies: en 2005, le couple qu’il formait avec Nicolas Barrel (Alexandre Thibault, puis Nicolas Herman) est à l’origine du tout premier baiser gay dans une série française. En 2013, quelques semaines après l'adoption du mariage pour toutes et tous en France par l'Assemblée Nationale, c’est son couple avec Gabriel Riva qui permet aux téléspectatrices et téléspectateurs de voir pour la première fois un couple d’hommes mariés et d’assister à son mariage dans une série française.


Autre exemple de personnage LGBT+ marquant mais, en revanche, plus contrasté : Léa Nebout (Charlotte Deysine, puis Marie Hennerez). Personnage lesbien récurrent (2012-2013, depuis 2016), à la fois épanoui et qui s’assume, Léa noue, après un coming-out remarqué en 2012, des histoires d’amour assez diverses avec plusieurs femmes (une relation au long cours, une autre avec une femme mariée de vingt ans son aînée), avant de finir, contre toute attente, en 2021… par coucher avec un homme, Jean-Paul Boher (Stéphane Hénon). Non seulement les deux se déclarent mutuellement leurs sentiments, mais la jeune femme tombe enceinte de lui à la suite de ce rapport… et décide alors de garder le bébé et de l’élever avec Jean-Paul. «La maternité est finalement associée à l’hétérosexualité, ce qui est assez normatif», souligne Stéphanie Arc, qui regrette que même si ce choix scénaristique laisse une liberté dans l’interprétation (Léa peut avoir pris conscience qu’elle est, en réalité, bisexuelle, même si rien n’est suggéré pour aller dans ce sens), il donne surtout matière à une interprétation problématique (Léa revient finalement dans le moule patriarcal et hétérosexuel car elle s’est rendue compte qu’il s’agit du seul modèle viable, naturel pour elle, et par extension, pour tout un chacun).



Des représentations certes nombreuses mais aux limites perceptibles


Pour Natacha Chetcuti-Osorovitz, le cas de Léa Nebout met en évidence, plus largement, les limites du traitement des personnages LGBT+ dans «Plus belle la vie». L’enseignante-chercheuse prend l’exemple du couple Alexandra-Kévin, porté par la tiktokeuse et instagrameuse transgenre Meryl Bie. D’un côté, ce couple permet de traiter «assez finement» la question de la transidentité dans le feuilleton, en tentant d’«énoncer ce qui n’est pas audible pour les autres», que ce soit «la transphobie, le rapport entre genre, attendu de genre et non-binarité de genre, ou le rapport à la sexualité et au corps de l’autre». D’un autre côté, à l’instar des personnages lesbiens dans le feuilleton, «Alexandra et Kévin restent dans une représentation de genre très fermée».


Autre exemple donné par l’enseignante-chercheuse : le modèle de vie promu par le feuilleton. «Il y a quand même, aujourd’hui, des sujets qui sont complètement intégrés chez les jeunes, comme les questions LGBT ou celles articulées au féminisme. Je pense que ces sujets pourraient être traités différemment dans cette modernité sociale, sans que cela passe forcément par le mariage ou le couple, considère Natacha Chetcuti-Osorovitz. Alors que grâce à certains personnages hétérosexuels, nous avons pu découvrir des modalités de vie différentes, cela aurait pu également émerger du côté des personnages LGBT, plutôt que de se cantonner à une forme d’assimilationnisme par le modèle de la famille», ajoute t-elle.



Des personnages LGBT+ généralement «policés, édulcorés, consensuels»


Dans leur article «Plus belle la vie : lesbien raisonnable ?», publié en 2015, et qui s’intéresse plus spécifiquement aux représentations lesbiennes dans «Plus belle la vie», Stéphanie Arc et Natacha Chetcuti-Osorovitz mettent en avant plusieurs raisons pour expliquer ces limites et le fait que le feuilleton veille à «représenter les minorités sexuelles d’une manière ‘policée, édulcorée, ‘consensuelle’». La première : «ne pas trop bousculer le téléspectateur, ce qui serait contre-productif dans un souci de promouvoir l’acceptation des différences». La deuxième ? «Aller contre les évidences partagées. Il s’agit de montrer, par exemple, que les lesbiennes sont comme toutes les autres femmes.» Quant à la troisième, c’est Natacha Chetcuti-Osorovitz qui nous la rappelle elle-même, à savoir une volonté de «répondre à un autre élément, plus idéologique, qui est le prétendu universalisme qui prédomine en France, où, au nom de ce principe, il ne faudrait pas faire rupture, comme si les communautés minoritaires étaient responsables du désordre social». A ce sujet, l’enseignante-chercheuse complète : «Dans ces feuilletons, les cultures qui ne sont pas celles hétérosexuelles ne sont jamais évoquées ni incarnées. Je pense qu’il y a une espèce d’utopie, presque d’illusion, de vouloir faire du commun malgré tout».


Dès lors, avec cet équilibre difficile à tenir qui présente des qualités comme des défauts, difficile d’imaginer meilleures représentations si «Plus belle la vie» voulait toucher le plus grand nombre ? Stéphanie Arc prend l’exemple de la persistance de l’ancrage fort des personnages du feuilleton, y compris LGBT+, dans les normes de masculinité et de féminité : «Peut-être que la question de la fluidité du genre n’a pas été assez présente dans la série. D’un autre côté, j’ai l’impression que ce n’est pas dans ces séries-là, diffusées à une heure de grande écoute, que nous la cherchons. Ce serait plutôt sur France.tv slash, avec des séries comme «Skam», «Mental», ou plus récemment «Chair tendre».


Stéphanie Arc et Natacha Chetcuti-Osorovitz concluent leur article ainsi : «’Plus belle la vie’ ne désacralise pas le mythe hégémonique de l’hétérosexualité, mais montrer à l’écran, de manière positive, des hommes et des femmes qui s’aiment, épanouis et socialement acceptés, dans un feuilleton vu par des millions de téléspectateurs, permet de décentrer la norme hétérosexiste» et de participer à «une forme de ‘normalisation’ ou de ‘banalisation’ de l’homosexualité». Il ne reste désormais plus qu’à voir si les autres feuilletons quotidiens («Demain nous appartient» et «Ici tout commence» sur TF1, «Un si grand soleil» sur France 2) préfèreront, eux aussi, la voie de la «normalisation» et de la «banalisation» ou bien s’ils se risqueront plutôt à emprunter le chemin de la «désacralisation».






Pour en savoir plus :

>> «Identités lesbiennes : en finir avec les idées reçues» de Stéphanie Arc (2015), réédition prévue courant 2023.

>> «Se dire lesbienne : vie en couple, sexualité et représentation de soi» de Natacha Chetcuti-Osorovitz (2010), réédition préfacée par Michel Bozon parue en 2021.


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