Le casting (n°4) : «Après le silence» (France 2)
Vous désirez vous changer les idées mais ne savez pas quoi regarder ? Pour faire votre choix, imaginez un casting, dont les suggestions des plateformes de replay des chaînes de télévision seraient autant de prétendantes à une représentation privée dans votre salon ou votre chambre. L’une d’entre elles attire votre attention. Vous décidez, dans un tête-à-tête avec vous-même, d’imaginer ses arguments pour vous convaincre, telle une personne à une audition. Y arrivera-t-elle ? Le casting du jour : «Après le silence» (France 2).
- Bonsoir.
- Bonsoir, soyez la bienvenue pour cette audition. Vous êtes bien «Après le silence» ?
- C’est cela. Ravie de pouvoir me présenter devant vous aujourd’hui.
- Bien. Pour commencer, est-ce que vous pouvez vous présenter en quelques mots ?
- Oui. Je suis un téléfilm, un drame pour être précis.
- D’accord. Parlez-moi un peu de votre parcours.
- Alors, mon histoire débute dans un commissariat, le jour où Marina, incarnée par Caroline Anglade, s’y rend pour déposer plainte contre son ex-compagnon pour viol. Elle raconte alors que ces viols à répétition se sont produits pendant plusieurs années dans l’intimité du couple. Au début, son conjoint Grégory, joué par Clovis Cornillac, se montrait insistant, pour qu’elle cède à ses avances. Par la suite, cette insistance a laissé place à de la violence et à des coups, qui sont venus la contraindre par la force. Puis, les dernières fois, elle a fini par se laisser faire, de sorte à pouvoir passer le plus vite possible à autre chose. Si Marina s’est présentée au commissariat ce jour-là, c’est parce qu’elle a eu la force de quitter Grégory et d’aller s’installer loin de lui avec leur fils, dont il s’occupe à peine. Alors que cette plainte est essentielle dans son processus de reconstruction, Marina va rapidement se rendre compte qu’au vue du parcours (du combattant) judiciaire qui s’annonce, elle n’est pas encore au bout de ses peines.
- Oh, je vois… Il s’agit là d’une des premières fictions françaises à traiter de ce sujet, au moins de manière centrale comme vous me le présentez, non ?
- Probablement. Cette année, nous pouvons également citer la dixième saison de «Skam France» proposée par France.tv slash, qui tourne autour du viol conjugal, du consentement et du féminisme. Mis à part cette série, je serais incapable de vous donner d’autres exemples… Au contraire, les fictions ont plutôt tendance à multiplier, souvent sans s’en rendre compte, les scènes avec des couples qui banalisent une certaine culture du viol…
- Vous avez raison…
- C’est pourquoi avant même ma représentation, nombreuses étaient les personnes à estimer que mon existence est déjà une bonne nouvelle en soi. Déjà que parler de viol reste encore tabou chez certaines personnes, alors évoquer la question du viol conjugal…
- Beaucoup de personnes ne prennent, hélas, pas cela au sérieux, n’ont pas conscience que cela peut être une réalité pour certains couples…
- C’est cela. Elles associent encore certains comportements au «devoir conjugal». Un des personnages défend, d’ailleurs, ce discours dans mon histoire. Pourtant, ce «devoir» n’a aucun fondement. Ce n’est qu’une invention du patriarcat pour légitimer la domination des hommes sur les femmes à travers le couple et le mariage. Notre corps nous appartient. Se mettre en couple n’induit pas automatiquement un accès illimité au corps de l’autre. Le mariage n’est pas non plus un moyen de s’assurer une rente de sexe. Nous ne désirons pas nécessairement les mêmes choses, ni au même moment, ou aussi souvent, que notre partenaire. Dans tous les cas, cela ne dispense pas de s’assurer du consentement de son ou sa partenaire, quel que soit la forme que prend le rapport sexuel. Si vous n’en avez pas envie, peu importe la raison, c’est non. En couple ou non, non, c’est non.
- C’est important de le rappeler, en effet.
- J’ai le sentiment d’être assez pédagogique à ce sujet dans mon parcours, tout en me montrant, en même temps, assez subtile pour que le message ne prenne pas le pas sur l’histoire.
- Ah oui ? De quelle manière ?
- Eh bien, d’une part, dans la construction narrative. Je pars certes de l’histoire de Marina mais elle n’est pas la seule à se retrouver au cœur de mon parcours. Son histoire nécessite d’introduire celle de Samia, une ex de Grégory interprétée par Samira Lachhab, ainsi que celle de Chloé, actuelle compagne de Grégory incarnée par Alice David. En réalité, il s’agit plutôt de trois histoires de viol conjugal en une, des manières d’aborder la question du viol conjugal à des stades différents de celui-ci. L’une des trois femmes le (re)vit au passé, en préférant enfuir profondément ses vieux souvenirs d’un ex toxique mais qui reste hantée par les fantômes du passé, au point de s’en rendre malade. La deuxième, elle, y est confrontée au présent, en abordant à peine l’après, entre l’examen des faits reprochés par la justice, de la confrontation de son ex-conjoint, du regard des autres et de la reconstruction personnelle. La question risque, enfin, de se poser dans le futur proche de la troisième, à la fois dans le déni, trop aveuglé par son amour pour son actuel conjoint, et sous l’emprise de ce dernier pour ouvrir à temps les yeux sur l’homme avec qui elle vit.
- Intéressant comme approche, effectivement. Vous pensez à d’autres éléments sinon ?
- Oui. Par exemple, au fait que Marina sollicite une association féministe, notamment l’aide juridique qu’elles peuvent apporter, qui est un recours possible pour les victimes et survivantes que je mets en avant. Je fais également référence à la différence entre une plainte classée sans suite ou un non-lieu, c’est-à-dire classée faute de preuves suffisantes aux yeux de la justice pour qu’elle examine le dossier ou qu’un procès ait lieu, ce qui ne veut donc pas dire que la personne accusée a été innocenté, et une relaxe ou un acquittement, où, là, celle-ci est déclarée non-coupable des faits qui lui sont reprochés. J’évoque, enfin, plusieurs problématiques auxquelles sont, plus généralement, confrontées les victimes et survivantes de violences conjugales : le poids de la situation professionnelle et financière de la personne, de même que le fait d’avoir des enfants, dans sa décision de quitter ou non le foyer familial ; le sentiment de honte par rapport à ce qui a été infligé à la personne et la crainte de ne plus être vue que comme une victime si elle parle ; la peur de ne pas se sentir écoutée et crue par ses proches, la police ou la justice ; ou encore le manque de sensibilisation et d’éducation en matière de consentement et de violences sexuelles.
- Et en ce qui concerne les performances des actrices et acteurs, vous les qualifierez comment ?
- Je dirais qu’elles sont toutes très convaincantes, en particulier Clovis Cornillac dans ce rôle d’homme, en apparence, bien sous tous rapports mais qui est, en réalité, violent, jaloux et dont on ne parvient pas à discerner s’il a conscience ou non de la misogynie qui transparait de son comportement. Peut-être que vous serez, sinon, davantage touché/e par la performance d’Alice David, dans la mesure où son personnage est la seule des trois femmes à faire l’objet de scènes de viols montrées, si bien que le sort qui lui est réservé dans mon histoire peut créer davantage d’empathie pour elle que Marina et Samia.
- D’accord… Bien, parlons chiffres à présent. Est-ce que, par hasard, du monde a suivi votre représentation le 16 novembre dernier sur France 2 ?
- Ecoutez, elle a attiré 3,3 millions de personnes. France 2 représentait alors 16,4% de la fréquentation totale du PAF [Paysage Audiovisuel Français, nom donné à l’ensemble des chaînes de télévision françaises], ce qui en a fait la chaîne la plus suivie ce soir-là. Il me semble que nous pouvons donc considérer cette représentation comme un succès, oui.
- Vous m’en voyez ravi pour vous. Je pense qu’avec tout ce que nous nous sommes dit, mon choix est désormais fait. Avez-vous une dernière chose à ajouter ?
- Oui. Je souhaiterais terminer en vous donnant trois chiffres sur lesquels je conclus ma représentation. Le premier commence à être relativement diffusé : seulement 2% des viols aboutissent à une condamnation par la justice. Les deux autres sont, en revanche, davantage méconnus mais tout aussi chocs : environ 25 000 viols se sont produits en France en 2021. Plus de la moitié d’entre eux étaient des viols conjugaux.
- Je l’ignorais, vous avez donc bien fait de le rappeler. Je vous remercie. C’est bon pour moi.
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