Eurovision 2021, épisode 2: «Ouvrez-vous» à la chanson européenne aux Pays-Bas !
Les européens et européennes vont enfin pouvoir renouer avec leur concours annuel de chanson, après que celui-ci ait été empêché de se tenir en 2020 à cause de la pandémie de coronavirus. Cette année, étant donné que la situation sanitaire s’est améliorée mais reste préoccupante, la prudence est de mise : tous les candidat/e/s pourront faire le déplacement (à l’exception de la candidate australienne, en raison des restrictions sanitaires mises en place par son pays) et un public, certes restreint (3500 personnes testées négativement au coronavirus, sur les 16 000 places que compte la salle), pourra assister au spectacle. Suite à la victoire de Duncan Laurence en Israël en 2019, l’Eurovision se déroule, cette année, aux Pays-Bas. Mais qui pour succéder au néerlandais ? Pour vous aider à vous forger votre propre opinion, une sélection des dix propositions les plus marquantes (à mon sens) de cette 65ème édition du concours vous a été concocté. Tendez l’oreille !
1 point : la Lettonie avec «The moon is rising» de Samanta Tina
Classée dans les dernières places d’après les pronostics des principales maisons de pari (31ème sur 39, pas certaine de se qualifier à l’issue des demi-finales) [classement arrêté en début de semaine, après les répétitions sur scène avec la mise en scène], la prestation de la Lettonie a, à mon sens, du potentiel et mériterait meilleur classement. Cette année, le féminisme semble, une nouvelle fois, particulièrement mis à l’honneur. Dans ce créneau hautement concurrentiel donc, les fans de l’Eurovision semblent avoir préféré la proposition maltaise, et dans une moindre mesure russe, à celle lettonne. Pourtant, ce morceau aux tonalités rap et pop, rythmé par une chanteuse qui ne manque pas de charisme et de coffre, atteint l’objectif qu’il paraît s’être fixé : donner une image de la femme comme quelqu’un de tout aussi forte et puissante que n'importe qui. Ainsi, si Samanta Tina va au bout des choses avec une scénographie qui porte encore davantage son message que son clip (clip dans lequel elle s’impose à la tête d’un groupe d’une dizaine de femmes, avant de mettre en scène des femmes de petite taille, des jeunes filles, des femmes lesbiennes, rousses, chauves et tatouées), alors cela pourrait donner une prestation qui en jette. Hâte, en tout cas, que «la lune (souvent symboliquement associée à la féminité, certainement un choix qui ne doit pas au hasard) se lève».
Lettonie, Samanta Tina, «The moon is rising» : https://www.youtube.com/watch?v=NBaCWHSyDzo
2 points : le Portugal avec «Love is on my side» de The Black Mamba
A ajouter à vos playlists pour renouveler vos musiques pour les slows que vous réaliserez lors de vos futures soirées loin de tout geste barrière que nous vous souhaitons pour bientôt! En attendant, ce morceau tournerait, pour l’heure, autour du milieu du classement d’après les bookmakers (17ème sur 39).
Portugal, The Black Mamba, «Love is on my side» : https://www.youtube.com/watch?v=2hAlp3Khsnk
3 points : la Bulgarie avec «Growing up is getting old» de Victoria
«Grandir, c’est vieillir». Ce message parlera certainement à beaucoup d’entre nous. En tout cas, Victoria parvient à convoquer avec brio l'imaginaire communément associé à l’enfance, empreint de nostalgie, voire de mélancolie, mais non sans douceur : dans son clip, la chanteuse dévoile des photos d’elle enfant, déambule dans un décor intime et intimiste (tantôt une chambre remplie d’ours en peluche dans une maison pleine d’objets anciens, tantôt un décor sombre éclairé par quelques ampoules allumées). Autant d’éléments que Victoria reprendra certainement dans sa scénographie, pour accompagner sa délicate voix mélodieuse qui berce. Une caresse visuelle et vocale qui pourrait clairement attendrir le public. C’est ce que semble penser les parieurs et parieuses, qui la voient, pour l’instant, à la 6ème place du classement.
Bulgarie, Victoria, «Growing up is getting old» : https://www.youtube.com/watch?v=qMNxCzuEdVM
4 points : la Russie avec «Russian woman» de Manizha
De notre point de vue de français ou française, ce morceau a de quoi surprendre à la première écoute tant il nous sort de notre zone de confort. En effet, notre oreille n’est pas habituée aux sonorités de la langue russe, qui plus est chantée (même à l’Eurovision), et sur un air qui mélange hip-hop et folklore russe. Néanmoins, que nous accrochions (d’emblée ou après plusieurs écoutes) ou non à cette chanson, une chose est sûre : c’est que Manizha dégage très vite au fil de sa performance une énergie et une confiance en elle qui est plaisante à voir. Elle tient sans doute cette force du sens du texte qu’elle rappe, qui vaut aussi le coup d’œil. A ce sujet, Manizha déclarait récemment pour l’Eurovision : «Il s’agit d’une chanson à propos de l’évolution de la prise de conscience de la condition féminine par les femmes au cours des derniers siècles en Russie. La femme russe a parcouru un chemin incroyable de la hutte paysanne au droit de vote et d’être élue (une des premières au monde), des ateliers d’usine aux vols spatiaux. Elle n’a jamais eu peur de résister aux stéréotypes et de prendre des responsabilités. C’est la source d’inspiration pour cette chanson.». Mais forcément, dans un pays aussi conservateur, en particulier de la part de ses autorités, se voir représenté par une féministe, défenseuse des réfugiés (comme elle), de la communauté LGBT et des victimes de violences domestiques, et qui s’est faite connaître, qui plus est, grâce aux réseaux sociaux, cela fait grincer des dents. Etant donné que cette candidature donne à voir une autre image de la Russie (Manizha a été choisi par les téléspectateurs et téléspectatrices russes à l’issue d’un télé-crochet sur une chaîne télévisée publique), et qu’elle dérange les russes les plus conservateurs («C’est n’importe quoi. Je ne comprends pas de quoi ça parle.» a déclaré la présidente de la chambre haute du parlement russe lors d’une session parlementaire), cela fait deux bonnes raisons supplémentaires pour que Manizha termine à une place plus qu’honorable à l’Eurovision, non ? Pour l’heure, d’après les bookmakers, ce serait le cas puisqu’elle finirait à la 11ème place.
Russie, Manizha, «Russian woman» : https://www.youtube.com/watch?v=l01wa2ChX64
5 points : l’Italie avec «Zitti e buoni» de Måneskin
Une bouffée d’oxygène. Du rock à l’Eurovision, cela n’arrive déjà pas tous les jours (ou plutôt, devrais-je dire, tous les ans). Mais du rock aux accents italiens, il y a de quoi ne pas bouder son plaisir (un accent aussi mélodieux, quel bonheur, vous ne trouvez pas ?). Après plusieurs mois anxiogènes durant lesquels nos distractions ont été limité et nos contacts contraints d’être limités au maximum, ce morceau a un bon potentiel pour permettre à tout un chacun de se projeter à un concert, au cœur d'une foule, et de se défouler, tant ce morceau est rythmé et énergique. Peut-être même que, pour cette raison, le morceau pourrait créer la surprise. En tout cas, après avoir longtemps vu le titre tourner autour de la 5ème place, les parieurs et parieuses ont tendance à croire que l’Italie pourrait l'emporter (le pays est annoncé 1er, au coude-à-coude avec la France).
Italie, Måneskin, «Zitti e buoni» : https://www.youtube.com/watch?v=9mL6Cmkg2_A
6 points : l’Azerbaïdjan avec «Mata Hari» de Efendi
Le fait que, pour les bookmakers, l’Azerbaïdjan n’ira pas plus haut que le milieu du classement (20ème sur 39) est déjà, à mon sens, assez surprenant, mais alors qu’ils ne soient même pas certains que le pays parvienne à se qualifier pour la finale est quelque chose qui m’échappe. En effet, sur le papier, Efendi a tout pour aller loin : un morceau pop rythmé, un refrain entêtant, des sonorités orientales qui apportent un petit plus au morceau, une jeune chanteuse qui peut miser sur son physique qui rentre pleinement dans ce qui est perçu comme les canons de beauté occidentaux… Il ne lui suffirait plus qu'à faire le show avec une scénographie digne de ce nom.
Seulement, il ne faut pas oublier que l’Eurovision n’est pas qu’une affaire de musique, mais aussi de géopolitique. Celles et ceux qui suivent assidûment l’actualité ne sont pas sans savoir qu’à l’automne dernier, l’Azerbaïdjan a été impliqué dans un conflit armé avec l’Arménie (qui, d’ailleurs, en raison des multiples conséquences de sa défaite militaire, a choisi de ne pas participer à l’Eurovision cette année). Ainsi, peut-être que le pays va payer l’hostilité de pays européens à son égard suite à ce conflit, ou à cause des soutiens diplomatiques et militaires que l’Azerbaïdjan a reçu au cours du conflit.
Quoi qu’il en soit, sachez, pour votre gouverne, que le titre de la chanson fait référence à une femme hollandaise, Mata Hari (de son vrai nom Margaretha Geertruida Zelle), qui a réellement existé. Tour à tour courtisane, danseuse orientale érotique à succès en France et espionne pour la France durant la première guerre mondiale, elle est exécutée par la France avant la fin de celle-ci après avoir été accusé d’espionnage au profit de l’empire allemand. Souhaitons à cette chanteuse et sa chanson un sort moins tragique.
Azerbaïdjan, Efendi, «Mata Hari» : https://www.youtube.com/watch?v=HSiZmR1c7Q4
7 points : la Belgique avec «The wrong place» de Hooverphonic
Contrairement à ce que semblent penser les parieurs et parieuses (qui la classe 21ème sur 39, pas certaine de se qualifier à l’issue des demi-finales), la Belgique n'est, à mon sens, pas du tout "au mauvais endroit". Le groupe belge, qui existe depuis 1995, nous propose ici un morceau pop rythmée, teinté de ce qui ressemble à de la noirceur et de la mélancolie, et qui fonctionne très bien. Nous sommes, en tout cas, plus proches de la musique que nous pourrions tout à fait entendre à la radio que de la «musique d’aspirateur» des premières chansons du groupe, comme l’avait qualifié en plaisantant un de leurs amis à l’époque, ce qui avait, alors, inspiré le groupe pour leur nom («Hoover» est une célèbre marque d’aspirateurs).
Belgique, Hooverphonic, «The wrong place» : https://www.youtube.com/watch?v=0EQyG1Yjlgw
8 points : Malte avec «Je me casse» de Destiny
Après la version pop/rap et celle entre hip-hop et folklore, je vous présente, cette fois, le morceau féministe purement pop de cette année. A titre personnel, elle est loin d’être ma chanson préférée parmi les trois, en raison principalement d’un refrain qui tranche avec le reste du morceau et qui, à mon sens, peine à faire décoller le titre, alors que la mélodie est, en dehors du refrain, entrainante et particulièrement efficace pour cette raison. De plus, le fait que Malte propose une chanteuse et une chanson qui paraît clairement s’inspirer de la proposition gagnante d’Israël lors de l’Eurovision 2018 avec Netta (une femme, tout en rondeur, chante un morceau pop entraînant et résolument féministe) me gêne assez. A deux prestations similaires, je préfère assurément l’original à la copie. Néanmoins, je dois bien reconnaître que la recette fonctionne toujours depuis 2018 et pour la raison que j’ai évoqué précédemment (une mélodie, dans l’ensemble, particulièrement entraînante, et donc redoutable), vous ne risquez pas de vous "casser" : comme le prédisent les bookmakers, je ne doute pas que Destiny sera, au bout du compte, dans le top 5. Remarquez, toutefois, qu'à l'issue de ces derniers jours, suite aux répétitions, Malte, qui a été donné favorite pendant de nombreuses semaines, reste sur le podium mais dégringole à la 3ème place. Le signe, malheureusement, que Destiny semble partie pour proposer une performance en-deçà du potentiel de spectacle qui pourrait être accompli sur un morceau pareil.
Malte, Destiny, «Je me casse» : https://www.youtube.com/watch?v=PQKiHr5qEfA
10 points : l’Ukraine avec «Shum» de Go_A
Traduit en français, le titre ukrainien de la chanson qui représente l’Ukraine signifie «bruit». Certains spectateurs et spectatrices de l’Eurovision considéreront sans nul doute ce morceau comme tel plus que comme étant de la musique. Pourtant, même si ce titre, qualifiait très justement de «dark-techno» par le groupe, a quelque chose de déroulant à la première écoute, il est également assez envoûtant de par sa mélodie. Il faut savoir que «Shum» s’inspire de chansons folkloriques ukrainiennes chantées dans le cadre d’un rituel traditionnel qui a vocation à invoquer la venue du printemps, un rituel et une saison auxquelles le morceau fait écho dans ses paroles. Il est vrai que cette chanson a de quoi devenir tendance dans les raves parties ou parmi les fans de pogos. Mais au-delà de cela, je trouve que ce titre symbolise bien ce que beaucoup de monde attend de l’Eurovision : découvrir des chansons originales, d’autres langues («Shum» est chanté en ukrainien), d’autres cultures musicales (ce titre emploie des instruments traditionnels, comme la guimbarde ou la solpika, une flûte ukrainienne) parmi les innombrables que comptent l’Europe. En plus de cela, la chanson est bien construite puisque son rythme s’accélère en plusieurs temps au fil du morceau, et ce jusqu’à la dernière minute, créant un effet de montée en puissance assez stimulant pour celui ou celle qui écoute le titre. Classée dans le top 10 par les parieurs et parieuses (8ème), la chanson de Go_A risque de ne pas être suffisamment fédératrice pour pouvoir l’emporter. Néanmoins, figurer dans ce top 10 serait tout à fait mérité pour ce morceau qui se distingue clairement des autres propositions avancées cette année. A titre personnel, l’Ukraine est clairement mon favori.
Ukraine, Go_A, «Shum» : https://www.youtube.com/watch?v=U7-dxzp6Jvs
And the twelve points go to… la France avec «Voilà» de Barbara Pravi
Je sais ce que vous vous dites : il prétend être le plus lucide possible sur le potentiel de chaque chanson et en même temps, il plébiscite la chanson de son propre pays. Mais si vous doutez de ma capacité à faire la part des choses, dites-vous que la France est l’une des favorites à la victoire selon les bookmakers (2ème, au coude-à-coude avec l'Italie). Voilà.
Ce qui distingue et joue en faveur, à mon sens, de Barbara Pravi par rapport à une candidate comme Victoria, précédemment mentionnée, qui joue également sur le terrain de l’émotion, c’est que la candidate bulgare mise sur une voix douce et une histoire tendre pour être touchante, tandis que la candidate française donne l’impression d’y mettre ses tripes et de se mettre à nu, si bien qu’elle se situe dans un autre registre de l’émotion, qui laisse davantage sans voix plutôt qu’ému, et qui laisse donc potentiellement un souvenir plus prégnant. De plus, avec une mise en scène sobre mais puissante, à l’instar de ce qu’elle avait proposé lors des sélections (à savoir elle seule sur scène, éclairée uniquement par un projecteur blanc, qui instaure un jeu avec la caméra, du fait qu’elle s’adresse au public dans son texte), la performance, qui se concentrerait, dès lors, uniquement sur la voix et le texte de Barbara Pravi, serait encore plus marquante.
Il se peut que certains spectateurs ou spectatrices soient peu sensibles à ce qui s’apparenterait, pour eux, à une complainte purement égocentrique et sans grand intérêt de la part d’une artiste. Mais dans l’ensemble, il y a de bonnes raisons d'espérer que l’émotion l’emporte sur le reste. Et si, pour une fois, nous croyons tout simplement en notre bonne étoile : la France a remporté la version junior de l’Eurovision en 2020, pourquoi ne pourrions-nous pas faire un carton plein cette année en gagnant également l’Eurovision ?
France, Barbara Pravi, «Voilà» : https://www.youtube.com/watch?v=kTaOHpWz3og
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