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Derniers rendez-vous à 13h pour Jean-Pierre Pernaut


L’information a, pendant plusieurs décennies, adopté plusieurs visages. Ce vendredi, elle perdra la dernière grande figure qui l’incarnait encore. En effet, vendredi 18 décembre, Jean-Pierre Pernaut présentera une ultime fois le journal de 13 heures de TF1 qu’il a tant chéri avant de passer le témoin, de son plein gré. Ce départ constitue un véritable évènement médiatique. Rendez-vous compte : le journaliste le présente depuis 1988, soit une longévité rare à la tête d’un programme et une éternité à l’échelle de la télévision. A l’occasion du départ de Jean-Pierre Pernaut, revenons sur ces 32 années durant lesquelles le présentateur a occupé une place à part entière autour de la table de nombreux français et françaises chaque midi.




Une carrière unique(ment) sur la une


Et si nous commencions par les prévisions météo d’Evelyne Dhéliat ? Non ? Très bien, comme vous voudrez. Dans ce cas, rappelons, tout d’abord, que si TF1 est aussi attaché à Jean-Pierre Pernaut, c’est parce qu’il a réalisé quasiment l’ensemble de sa carrière en tant que journaliste au sein de la chaîne.


En effet, après avoir débuté à France 3 Picardie où il parlait d’actualité locale et de sports entre 1972 et 1974, il entre à TF1 dès sa création, en janvier 1975. Au départ, Jean-Pierre Pernaut s’essaie à différents postes, tour à tour présentateur du journal de 23h (entre 1975 et 1978), co-présentateur du journal de 13 heures au côté de son présentateur de l’époque, Yves Mourousi (entre 1978 et 1980), grand reporter au service économique (entre 1980 à 1982), et même présentateur du journal de 20 heures durant l’été 1987.


C’est en cette année de 1987 que Jean-Pierre Pernaut obtient seul la présentation du journal de 13 heures de TF1, qu’il n’a plus quitté depuis. A l’époque, la première chaîne vient d’être privatisé, racheté par le groupe Bouygues, qui veut alors marquer les esprits pour l’occasion. Le fait que Yves Mourousi soit hostile à la privatisation de la chaîne, donc en conflit avec la nouvelle direction, et que le JT de 13h de France 2 ait pris l’avantage en terme d’audiences a, selon toute vraisemblance, fait que le JT de 13h, dont sa présentation, a rapidement été l’un des chantiers de la nouvelle direction de TF1. La chaîne et le nouveau présentateur du journal font, à ce moment-là, le choix de transformer ce journal culturel en journal de proximité, qui ne porte pas un regard jugé parisien sur l’information. A l’époque, la une s’intéressait peu aux régions. Cette thématique et approche était devenue la spécialité de FR3 (ex-France 3), que TF1 entendait bien concurrencer désormais.



Le journal de proximité, une approche qui ne fait pas l'unanimité


Aujourd’hui, aux yeux des téléspectateurs, le JT de 13h de TF1 est indissociable de cette image de journal de proximité insufflée et imprégnée durablement par Jean-Pierre Pernaut. Celle-ci est telle que la direction de l’information de TF1 a d’ores et déjà tenu à rassurer téléspectateurs comme journalistes en objectant tout changement d’orientation du JT de 13h après le départ de son présentateur vedette.


Pourtant, TF1 aurait pu saisir cette opportunité pour le faire. En effet, en trente ans, le journal de Jean-Pierre Pernaut n’a jamais été épargné par des critiques récurrentes au sujet de la dimension locale et populaire prise par le journal, dimension qui ne serait pas à la hauteur de la grande messe du 13 heures. Il est vrai que le 13h de Jean-Pierre Pernaut ressemble davantage à un magazine consacré au patrimoine et aux personnes qui font la France qu’à un journal d’information. En dehors des jours où l’actualité est dominée par un évènement grave, il est rare de ne pas voir le journal de la mi-journée s’ouvrir sur la météo du jour avant d’enchaîner avec un premier reportage qui couvre une actualité d’ordre régional. L’actualité nationale, et encore plus internationale, est, quant à elle, souvent reléguée à de brèves mentions en milieu de journal, quand elle n’est pas, tout simplement, négligée. «On montre de belles images, on livre de beaux récits, c’est l’idée d’une France telle qu’elle devrait être, où la vie, ce sont des choses simples et vraies. C’est une vision rassurante» résumait Virginie Spies, sémiologue et analyste des médias audiovisuels, pour le journal Le Monde en octobre dernier. Certaines personnes, comme la présidente du Rassemblement National Marine Le Pen, vont ainsi regretter la visibilité accordée à «une certaine France, celle des terroirs, celle qui fait encore rêver le monde» tandis que d’autres, comme le journaliste Daniel Schneidermann, s’enthousiasme à l’idée du départ de ce présentateur qui s’adresse à «la France mythologique des marchés et des clochers, de l’école en blouse et des déjeuners à la maison».



Mettre en valeur les «vrais gens» et le patrimoine, le mot d’ordre du JT de 13h à la sauce Pernaut


Il est légitime de se demander quel est l'essence d'un journal télévisé, et quelles sont les attentes des téléspectateurs vis-à-vis de celui-ci, au regard de la proposition formulée par le 13h de TF1. Néanmoins, il ne peut être enlevé au crédit de Jean-Pierre Pernaut qu’il a réussi à revaloriser les divers terroirs et folklores du pays, et plus particulièrement celui «d’une ruralité raillée mais persistante» qui vit avec le leitmotiv «Boulot, bistrot, hameau» comme l’a décrit l’écrivain David Brunat dans Le Figaro en septembre dernier, patrimoine assez rarement mis en lumière de la sorte à la télévision de nos jours. Grâce à Jean-Pierre Pernaut, par exemple, le 13h de TF1 feuilletonne chaque année depuis plusieurs années autour de l’opération «SOS villages, qui vise à venir en aide aux petits commerçants à la peine dans les villages en zone rurale, ou bien du concours du «Plus beau marché de France», qui propose, comme son nom l’indique, d’élire le marché qui vaut le plus le coup d’œil.


Toutefois, toutes ces opérations, ni même la plupart des reportages diffusés chaque jour, ne seraient pas possibles sans l’une des forces du 13h de TF1, qu’il doit à Jean-Pierre Pernaut, qui la laissera derrière lui, à savoir le solide réseau de correspondants répartis au sein de 19 agences de presse indépendantes dans la France entière. «C’est le chef de famille et on est tous ses enfants» ironise Sébastien Hembert, correspondant à Lille depuis une vingtaine d’années, pour un article d’Aujourd’hui en France en septembre dernier. «Il nous dit ‘raconte-moi ce qui se passe chez toi’. Il ne veut pas d’interviews de spécialistes, de reportages trop techniques ou trop institutionnels, mais les gens qui sont dans la rue, au marché.» souligne t-il ensuite.



Dire tout haut ce que tout le monde penserait tout bas, un autre trait du 13h de Pernaut qui fait tiquer


Imaginer le journal de 13 heures comme un journal de proximité n'est pas la seule particularité du JT de Jean-Pierre Pernaut qui a pu faire diverger les opinions à son sujet. En effet, il faut savoir que le présentateur a l'habitude de travailler sans prompteur. De ce fait, si le journaliste rédige le gros de son texte sur des fiches, il lui arrive de s’offrir quelques libertés au retour plateau à l’issue de la diffusion d’un reportage. Ainsi, si Jean-Pierre Pernaut se permet souvent des commentaires de l’ordre du léger trait d’humour, il n’est pas rare non plus de le voir agacé ou affligé, jusqu'à, parfois, rebondir sur le contenu du reportage en partageant son avis personnel, ce qu'il fait rarement en mâchant ses mots. Toutefois, ses remarques ne sont pas toujours au goût de toutes et tous.


Parmi ses coups de gueule les plus marquants, il y a celui lors de l’Euro de football en 2012, lorsqu’il avait signalé, visiblement contrarié par les performances décevantes des Bleus, que les joueurs de la sélection italienne, «par soucis de solidarité avec leurs compatriotes, ont décidé de ne pas toucher et de ne pas demander leur prime de match», avant d’ajouter «Il y a heureusement des pays où les joueurs ont de l’éducation et du savoir-vivre !». Autre exemple, pendant le premier confinement au printemps dernier, lorsque Jean-Pierre Pernaut avait critiqué la foule importante croisée en ville, qui plus est principalement composée de personnes sans masque, en taclant, au passage, l’incohérence de certaines décisions gouvernementales au sujet du déconfinement. Dernier exemple : une transition déplacée en 2016 entre un reportage sur les sans-abris et un autre consacré à l’ouverture d’un nouveau centre d’hébergement pour migrants, reportages que le présentateur avait lié en disant «Voilà, plus de place pour les sans-abri mais en même temps, les centres pour migrants continuent à ouvrir partout en France.».


«Ce sont des commentaires de bon sens, qui correspondent à ce que pensent les gens» se défendait le principal intéressé sur le plateau de «Quotidien» (TMC) en septembre dernier. «Il a ce côté téléspectateur en lui, il n’est pas que présentateur. Monsieur et madame tout-le-monde ont la même réaction que lui» analysait, de son côté, un fidèle du 13h de TF1 dans un article pour Aujourd’hui en France, également en septembre dernier. Dans un autre article, cette fois pour Le Monde le mois d’après, une rédactrice du journal reconnaissait qu'«il y a une part d’éditorialisation qui n’a pas sa place dans les JT». Mais avec une carrière aussi longue, Jean-Pierre Pernaut «n’est pas quelqu’un à qui la direction peut dire quelque chose» constatait t-elle néanmoins.



En retrait, certes, mais la télé n'en a pas fini avec lui


Si, le 15 septembre dernier, Jean-Pierre Pernaut a annoncé, à la grande surprise des téléspectateurs et de ses équipes, son retrait de la présentation du 13h de TF1 d’ici la fin d’année, ce n’est ni par lassitude ni par impression que le vent tournait pour lui. Nul doute que celui qui a assisté à l’éviction de PPDA (28 ans de JT) en 2008, de Claire Chazal (24 ans de JT) en 2015 et de David Pujadas (16 ans de JT) sur France 2 en 2017 a certainement préféré prendre les devants en choisissant son moment afin de pouvoir soigner sa sortie. Toutefois, l’état de santé du journaliste, qui a fêté ses 70 ans en avril dernier, semble être la principale explication à cette décision «mûrement, très mûrement réfléchie» comme l’a décrit Jean-Pierre Pernaut lui-même dans une vidéo partagée sur son compte Twitter le jour de l’annonce de son départ.


En effet, en 2018, Jean-Pierre Pernaut avait été contraint de céder sa place pendant plusieurs mois à son joker Jacques Legros afin de soigner un cancer de la prostate qui lui avait été diagnostiqué. Puis, cette année, le présentateur avait préféré limiter les risques de contamination au coronavirus pendant le premier confinement en restant confiné mais en n’animant malgré tout une rubrique quotidienne à la fin du journal de 13 heures depuis chez lui. Ainsi, si des discussions avec la direction de TF1 avaient déjà été entamé bien des mois avant la crise sanitaire, celle-ci n’a, semble t-il, fait que conforter Jean-Pierre Pernaut dans son choix de «changer de rythme» pour pouvoir profiter encore longtemps de sa famille.


Mais si Jean-Pierre Pernaut a décidé de lever le pied, il n’a pas pour autant l’intention d’arrêter la télévision, et encore moins de quitter le groupe TF1. Dès lors qu’il aura passé le témoin à Marie-Sophie Lacarrau, présentatrice du JT de 13h de France 2 depuis 2016 et jusqu’à ce qu’elle soit débauchée par la concurrence, Jean-Pierre Pernaut compte se consacrer à plusieurs nouveaux projets qui n’attendent que ce moment pour pouvoir être lancés.


Parmi ces nouveaux projets : la «JPP TV» (pour «Jean-Pierre Pernaut Télévision»), présenté comme le «Netflix des régions», qui devrait être lancé le 18 décembre prochain. Concrètement, il s’agira d’un site internet gratuit sur lequel il sera possible de retrouver l’essence de ce que propose le journaliste depuis trente ans, à savoir des reportages tournant autour du patrimoine, accompagnés d'archives du JT de 13h qu’il a présenté, ainsi que de chroniques «au ton très personnel», avec «des coups de cœur, des coups de gueule» et «le regard de Jean-Pierre sur l’actualité».


Outre la «JPP TV», Jean-Pierre Pernaut devrait hériter, dès début janvier 2021, d’un nouveau rendez-vous hebdomadaire le samedi sur LCI, la chaîne d’informations en continu du groupe TF1. Baptisée «Jean-Pierre et vous», cette émission d’une durée d’une heure est présentée comme interactive et comme offrant la possibilité aux téléspectateurs de commenter l’actualité et de poser des questions à ce sujet à Jean-Pierre Pernaut, qui sera accompagné, en plateau, par plusieurs journalistes de la rédaction de l’information.


Enfin, il n’est pas impossible que le futur ex-présentateur du 13h de TF1 réapparaisse ponctuellement sur la une, notamment pour les éditions spéciales comme celle du 14 juillet, mais surtout en retournant sur le terrain pour quelques reportages chaque année pour le magazine «Grands reportages» diffusé le week-end, et dans lesquels «Jean-Pierre Pernaut ira à la rencontre des gens qui incarnent une identité régionale, ses particularismes, et défendent le patrimoine.».


En attendant le lancement de l’ensemble de ces projets, il reste à Jean-Pierre Pernaut d’assurer cette dernière semaine à la présentation du JT de 13h de TF1. Cette semaine sera, d'ailleurs, conclue le 18 décembre prochain par une édition spéciale du journal, rallongé jusque 14h pour l’occasion, et en présence, entre autres, de Gilles Bouleau et Anne-Claire Coudray, présentateurs du JT de 20h de la chaîne, ainsi que de la successeuse de Jean-Pierre Pernaut, Marie-Sophie Lacarrau. A la suite de ce dernier JT de Jean-Pierre Pernaut, TF1 a également prévu un documentaire inédit le concernant, intitulé «Jean-Pierre Pernaut, une histoire de la télévision… française».




De par la longévité de sa carrière et la patte qu’il a apporté au JT de TF1, quoi que nous puissions en penser, Jean-Pierre Pernaut restera l’une de ces figures qui aura marqué la télévision française, et en particulier l’information. Sa postérité sera d’autant plus grande qu’il quitte le journal de 13 heures de TF1 au plus haut auprès de deux indicateurs : celui des audiences (son journal réunit en moyenne entre 5 et 6 millions de téléspectateurs, soit environ 40% de part de marché entre 13h et 13h40, ce qui fait que le 13h de TF1 est deux fois plus suivi que celui de France 2) et celui de la popularité (il a été élu présentateur télé préféré des français pour la seconde fois consécutive début décembre d’après un sondage TV magazine/OpinionWay). Et si nous concluons cet article en jetant un petit coup d’œil à la bourse ? Non ? D’accord, je n’insiste pas dans ce cas.




Sources:

- Gilles Boussaingault, TV magazine, Elu présentateur préféré des français, Jean-Pierre Pernaut quitte le 13 heures en apothéose, 3 décembre 2020.

- David Brunat, Le Figaro, Boulot, bistrot, hameau : vive la France de Jean-Pierre Pernaut !, 17 septembre 2020.

- Sandrine Cassini et Aude Dassonville, Le Monde, A Jean-Pierre Pernaut, TF1 reconnaissante, 18 octobre 2020.

- Alice Coffin, 20 minutes, 25 ans de JT de Jean-Pierre Pernaut : les meilleures séquences, 20 février 2013.

- Adrien Franque, Libération, 13 heures, c’est plus l’heure du Pernaut, 15 septembre 2020.

- Christophe Gazzano, PureMédias, Emission sur LCI, ‘Netflix des régions’… : comment Jean-Pierre Pernaut prépare l’après ’13 heures’, 27 novembre 2020.

- Yves Jaeglé, avec Carine Didier et Benoît Daragon, Aujourd’hui en France, Jean-Pierre Pernaut, 45 ans d’antenne sur TF1, 15 septembre 2020.

- Jean-Pierre Pernaut, Twitter, 15 septembre 2020.

- François Rousseaux, Aujourd’hui en France, Coups de gueule, proximité, spontanéité… Jean-Pierre Pernaut a imposé son style, 15 septembre 2020.

- Julien Rousset, Sud Ouest, Départ de Jean-Pierre Pernaut : une page se tourne dans l’histoire du JT, 15 septembre 2020.

- Wikipédia, Jean-Pierre Pernaut [page consultée le 14 décembre 2020; dernière modification de la page le 13 décembre 2020].

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