Delphine & Philippe #06: «Parlement»
Nous aurons beau essayer de justifier au mieux la pertinence de notre jugement à l’aide d’arguments concrets et techniques, la critique d’une œuvre artistique, telle qu’une série, reste avant tout clairement subjective puisqu’elle est le fruit d’un ressenti, d’une confrontation avec une sensibilité, tant de celui ou celle qui rédige cette critique que de celui ou celle qui la lit. Ici, à travers les multiples échanges développés avec leurs entourages par deux personnages nommés Delphine et Philippe, assumons pleinement cette part de subjectivité et concentrons-nous sur l’objectif premier d’une critique : une personne essaie de donner envie (ou non) à une autre de découvrir quelque chose qu’il a regardé (ou écouté). Pour ce sixième épisode, penchons-nous sur la web-série «Parlement», diffusée depuis 2020 sur France.tv slash.
Après avoir laissé Delphine tranquille durant quelques minutes, les rayons du soleil, dont le parcours avait été stoppé par des nuages croisés en chemin, traversent de nouveau la porte vitrée qui mène sur le balcon et recouvrent ainsi d’un habit de lumière la table du salon sur laquelle la jeune femme s’est installée depuis le début de la matinée en vue de préparer ses prochains cours. Elle hésite à fermer le rideau de la porte vitrée. Après tout, les rayons du soleil se font rares ces derniers jours. Cela leur confère un petit côté réconfortant. Seulement, en se reflétant sur ses affaires et la table du salon, ces rayons l’aveuglent plus qu’ils ne la réchauffent. Delphine trouve finalement un compromis assez rapidement : celle-ci se lève alors et va tirer de moitié le rideau de la porte vitrée. De cette manière, seule la partie de la table où elle est installée passe à l’ombre et non l’ensemble de la pièce. La voilà satisfaite. La jeune femme peut à présent retourner à sa place.
Delphine pensait que cela suffirait à résoudre son problème de concentration. Mais de toute évidence, le soleil n’a été qu’un prétexte en vue de s’éloigner de son travail plutôt que la clé pour l’aider à se recentrer dessus. Peut-être est-ce le signe que la jeune femme a bien mérité de s’accorder une pause. Elle ne se souvient plus si elle en a prise une ce matin. Elle en conclut que cette absence de réponse claire parle d’elle-même. Delphine décide alors de souffler cinq minutes. Au même moment, son estomac se met à gargouiller. La jeune femme a envie de croire à un signe que ce moment est le bon pour faire une pause. Dès lors, Delphine se dirige vers la cuisine afin de grignoter quelque chose. Etant donné qu’elle n’attend que le retour de Philippe pour pouvoir cuisiner avec lui leur repas du midi, elle se dit qu’il est sans doute préférable qu’elle ne se gave pas de cochonneries. La jeune femme se tourne donc vers la corbeille de fruits posée au milieu du plan de travail qui sépare la cuisine du salon et s’empare d’une mandarine. Au moins, avec un fruit, elle aura toujours bonne conscience.
Pendant que Delphine épluche sa mandarine, son compagnon arrive sur le pas de la porte, qu'il peine ensuite à ouvrir. Une fois rentré, Philippe dépose ses clés dans le vide-poche installé sur le petit meuble dans l’entrée, puis rejoint Delphine dans le salon. A l’expression qu’il arbore sur son visage, la jeune femme comprend très vite que son déplacement ne s’est pas déroulé tout à fait comme prévu.
- Ca n’a pas été ? se décide à lui demander Delphine.
– Non. J’ai simplement l’impression d’avoir bien perdu mon temps puisque je ne suis pas plus avancé, se contente de lui répondre Philippe, sur un ton à la fois agacé et dépité, tout en enlevant sa veste.
– Comment ça se fait ? insiste la jeune femme.
– Et bien déjà, pour commencer, j’ai dû prendre mon mal en patience pendant au moins trois quart d’heure avant d’être reçu vu que beaucoup d'autres personnes avaient eu aussi l'idée de faire le déplacement ce matin. En même temps, s’iels prenaient la peine de répondre à nos questions par téléphone, il n’y aurait pas autant de queue à leurs guichets. Mais bref…
- Ah mince… Et sinon ?
– Et sinon, comme je te l’ai dit, j’en ressors sans être plus avancé qu'en y allant. Le conseiller a tenté de m’expliquer la démarche à suivre mais ça se voyait qu’il ne savait pas bien de quoi il parlait, ni qu’il comprenait clairement quel est mon problème ou comment le résoudre. Il me débitait grosso modo le même discours qu’il doit donner à n'importe qui d'autre qui l’interroge sur le même sujet.
– Hum, j’imagine à quel point ça doit être pénible… Du coup, tu vas faire quoi ?
– Je n’en sais rien… J’en ai marre de courir à droite à gauche, un coup il s’agit d’un numéro à appeler, un coup d’un formulaire à remplir, un autre coup il faut se rendre quelque part… C’est fou d’être aussi mal organisés alors que ce sont de grosses structures qui doivent être habituées à traiter tout un tas de demandes…
- Je suis déjà passée par là alors crois-moi que je comprends ce que tu ressens… C’est marrant que tu me parles de lenteur et de complexité des démarches administratives parce que ça me fait penser à une web-série que j’ai découvert il n’y a pas si longtemps que ça…
- Ah oui? Quelle web-série ?
– Elle s’appelle Parlement et est proposée depuis le printemps dernier sur la plateforme numérique de France Télévisions, france.tv slash. Il s’agit d’une coproduction internationale avec la Belgique et l’Allemagne.
– D’accord. Je ne connais pas ! Elle traite de quoi ?
– Et bien, d'abord, je dois dire que son format court (moins d’une demi-heure par épisode) était bien pratique pour moi passer le temps, qui se fait souvent long, comme tu le sais, lorsque je dois surveiller un devoir. Au moins, cette série présentait l'avantage de ne pas me demander trop d'efforts pour la suivre ou être embarquée par son histoire, ce qui aurait été, dans le cas contraire, au détriment de mon rôle de surveillante.
– C’était déjà ça de pris, effectivement…
- Finalement, alors que j'étais tombée dessus un peu par hasard sans trop savoir dans quoi je m'engageais, cette web-série s’est révélée être une agréable surprise.
– Ah oui ?
– Oui ! En fait, pour te résumer brièvement l’intrigue de cette série, nous sommes invités à suivre Samy, fraichement engagé en tant qu’assistant parlementaire auprès d’un député européen français, au lendemain du vote des anglais au sujet du Brexit. Seulement, le jeune homme n’y connait pas grand-chose au fonctionnement des institutions européennes. Néanmoins, il essaie de se convaincre qu’il parviendra à s’en sortir haut la main avec un peu de détermination, de persévérance, de charme et de bagout. Manque de bol, dès son arrivée, Samy gaffe et récupère, sans le savoir, la rédaction d’un rapport au sein de la commission dédiée à la pêche. Autre problème : son député est un grand paresseux, et lui comme Samy n’y connaissent rien en matière de pêche. Dès lors, nous découvrons le quotidien de Samy, qui va essayer de se démener pour ne pas mettre son député en difficulté, en se faisant notamment aider de personnes qu’il rencontre au cours de ces premiers jours au parlement européen et en mettant toute son énergie pour défendre un amendement qu’il propose.
– Voilà qui est original comme point de départ ! Mais ce n’est pas trop barbant une série sur l’Europe ?
– Non, bien au contraire ! Je pense que cette série essaie justement de tordre le cou à cette image d’organisation technocratique ennuyeuse à l’organisation floue ou incompréhensible qui est communément associée à l’Europe. Déjà, le fait que la culture s’empare enfin de cette instance démocratique pour la mettre au cœur d’une œuvre va dans ce sens.
– Je ne m’étais jamais fait cette réflexion, mais il est vrai que notre imaginaire est notamment imprégné de nombreuses séries consacrées aux institutions et à la politique américaines, et plus rarement à celles françaises, alors que je serais incapable de te donner le nom d’une série dédiée à l’Europe, autre que celle dont tu me parles, ni même s’il en existe une autre en fait…
- C’est tout à fait juste ! Et c’est bien là le problème. Pourtant, il ne faut pas sous-estimer le rôle que peut jouer la culture pour familiariser, entre autres, les individus au fonctionnement de la démocratie et pour populariser ses différentes instances, que ce soit en bien ou en mal. Il n’y a qu’à voir des séries comme House of cards, A la Maison Blanche, Borgen ou encore Baron noir, qui ont marqué durablement bon nombre d’individus, pour bien se rendre compte de l’impact qu’elles peuvent avoir.
– Je le reconnais bien volontiers… Et donc, dans ce sens, cette série peut être utile ?
- D’une certaine manière, oui. Parlement est la première à tourner en dérision les travers qui sont moqués ou reprochés aux instances européennes. Pour autant, cette satire, certes sans prétentions, soulève bel et bien des questions importantes pour aider à comprendre le fonctionnement des institutions européennes. Ainsi, par exemple, il est possible d'en apprendre un peu plus au sujet du processus législatif européen, de l’élaboration d’un amendement à son vote, ou bien de se rendre compte du poids des lobbys au cours de ce dernier. De plus, la série se veut également plutôt critique à l’égard de la politique défendue par les différents états-membres de l'UE, ou adopte, du moins, un regard qui n’est pas neutre lorsqu’il s’agit de parler de certains d’entre eux. Je pense notamment à cette députée anglaise, pro-Brexit et complètement à l’ouest qui célèbre le départ du Royaume-Uni de l’Union Européenne avant de déprimer en comprenant ce que cette décision implique, et surtout les nombreux avantages qu’elle va perdre. Je pense aussi à cette conseillère politique allemande assez austère et ferme, qui sait ce qu’elle veut et qui est prête à tout pour obtenir gain de cause.
– Je vois… Mais j’imagine qu’au-delà du cadre original dans lequel se déroule l’intrigue, il s’agit, dans l’ensemble, d’une série politique comme les autres qui met en avant des histoires d'amitiés et d’amours éprouvées par les rapports de pouvoir ?
– C’est une manière de voir les choses, oui. Encore que, ici, les relations que développe Samy avec Rose, l’assistante parlementaire de la députée anglaise, ou avec Torsten, l’assistant de la conseillère politique allemande, sont assez complexes et moins caricaturales que l’on pourrait s’y attendre à première vue. Je trouve qu’en tant que spectateur ou spectatrice, il est, pendant longtemps, difficile de saisir clairement si ces deux personnages méprisent voire manipulent Samy, ou bien s’iels ont simplement leurs manières bien à eux de montrer qu’iels sont attachés à lui.
– D’accord… Ecoute, tu as réussi à titiller ma curiosité avec cette web-série alors je pense que je vais garder l’idée dans un coin de ma tête pour les soirs où tu travailleras tard.
– Pourquoi pas, tu verras bien au moment voulu ! En tout cas, je suis persuadée que tu ne le regretteras pas ! assure Delphine.
– Je l’espère ! En attendant, est-ce que ça te dit qu’on prépare à manger ? propose Philippe. Je suis parti en vitesse ce matin, j’ai à peine eu le temps de déjeuner… explique t-il.
– Ca tombe bien, je commençais justement à avoir faim ! fait remarquer la jeune femme. Allons-y tout de suite dans ce cas ! lance t-elle dans la foulée.
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