top of page

Climat: 500 journalistes s’engagent via une charte pour inciter la profession à redoubler d'efforts


Ce mercredi, à l’initiative de «Vert», une «charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique» a été dévoilé. D’ores et déjà signée par plus de 500 journalistes, cette charte sera-t-elle suffisante pour créer un élan dans les rédactions après un été où le climat nous a, une fois encore, fait la démonstration de son dérèglement ?



«Pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique». Telle est l’ambition que s’est fixée une trentaine de journalistes, qui se sont mobilisé/e/s depuis le printemps dernier dans le but d’aboutir à l’élaboration d’une «charte» qui permette de guider l’ensemble de la profession sur cette voie.


En effet, la situation climatique actuelle, inquiétante, est connue, et rappelée en préambule de cette charte : «Le consensus scientifique est clair : la crise climatique et le déclin rapide de la biodiversité sont en cours, et les activités humaines en sont à l’origine. […] Dans son sixième rapport, le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) insiste sur le rôle crucial des médias pour ‘cadrer et transmettre les informations sur le changement climatique’».


Et pour l’heure, difficile d’affirmer que, dans l’ensemble, les médias généralistes français les plus suivis brillent par leur traitement de l’actualité environnementale. D’une part, parce que celle-ci est encore rarement abordée. Comme l’a fait remarquer le collectif «Plus de climat dans les médias», le dernier rapport du GIEC, qui a tenté de synthétiser où nous en sommes en terme de savoir sur le dérèglement climatique à l’échelle mondiale, n’a fait l’objet que de treize minutes de temps d’antenne dans les JT, toutes chaînes confondues, dans les quarante-huit heures qui ont suivi sa parution en avril dernier. Autre illustration de cette couverture médiatique insuffisante : alors qu’en août dernier, l’hexagone était confronté à une succession de canicules et à des incendies monstres, le climat n’a été au centre d’un reportage que dans 4,6% des reportages proposés par France 2 au cours du mois (un record malgré tout !), 3,2% sur France 3 et 1,9% sur TF1. D’autre part, parce que lorsque l’actualité environnementale est abordée, elle n’est pas encore systématiquement traitée de manière correcte. Sur le réseau social Twitter, le collectif «Plus de climat dans les médias» se montre régulièrement critique à l’égard des différents reportages proposés sur le sujet. En cause ? L’absence de lien formulé entre une catastrophe naturelle et le dérèglement climatique, le choix des interlocutrices et interlocuteurs invités à réagir, ou bien l’utilisation de formules ou d’images d’illustration qui minimisent ou relativisent la gravité d’une actualité environnementale ou du dérèglement climatique.



«Il appartient à l’ensemble des journalistes d’être à la hauteur du défi que représente l’emballement du climat pour les générations actuelles et à venir»


Ainsi, la «charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique» dévoilée ce mercredi suggère plusieurs axes majeurs d’amélioration qui peuvent facilement se traduire de manière concrète.

Le contenu de la charte


Parmi ces axes :

- Ne plus cantonner l’écologie à une rubrique mais adopter le réflexe de questionner chaque sujet par un prisme environnemental ;

- Faire davantage preuve de pédagogie face à des publications scientifiques souvent volumineuses, complexes et qui manquent d’éléments de comparaison en termes d’ordre de grandeur et d’échelle de temps pour que les arguments parlent au grand public ;

- Informer davantage quant aux solutions formulées et autres initiatives mises en place pour faire face aux divers problèmes induits par le dérèglement climatique ;

- Démontrer plus régulièrement lorsqu’une information ou un chiffre rapporté dans les médias est faux, tronqué, sorti de son contexte ou manipulé de quelle que manière que ce soit et peut donc, volontairement ou non, semer le doute et entretenir le climatoscepticisme ;

- Ou encore exiger auprès de son employeuse ou de son employeur de pouvoir bénéficier d’une formation régulière tout au long de sa carrière pour continuer d’être informé de l’évolution du savoir et des enjeux du dérèglement climatique en cours.


«Il appartient à l’ensemble des journalistes d’être à la hauteur du défi que représente l’emballement du climat pour les générations actuelles et à venir», rappelle la charte dans son préambule. Actuellement, plus de 500 journalistes issu/e/s d’une cinquantaine de rédactions (dont Médiapart, RFI, France 24, Reporterre, ou encore 20 Minutes) l’ont déjà signé. C’est également le cas de sociétés de production (comme Premières Lignes) et de grandes écoles de journalisme (à l’instar de l’ESJ de Lille, l’IJBA de Bordeaux et l’EPJT de Tours). A noter : cette initiative est soutenue par près de dix auteurs et autrices du GIEC, dont Valérie Masson-Delmotte, climatologue et une des actuelles vice-présidentes du GIEC.



Avant cette charte, déjà plusieurs initiatives récentes dans la presse écrite/web et à la radio


La publication de cette charte intervient à un moment où, même si l’évolution du traitement médiatique de l’actualité environnementale est jugée lente et encore insuffisante, de plus en plus de médias français semblent prendre conscience du sérieux de la situation climatique, ainsi que des enjeux liés à la médiatisation de celle-ci, et donc de la responsabilité de chacune et chacun en tant que journaliste là-dedans. Ces derniers mois, nombreux sont les médias à s’être positionné à ce sujet.


C’est le cas, dans la presse écrite et web, du journal Le Monde, par le biais du chef de son service vidéo, Charles-Henry Groult. Fin août dernier, le journaliste a partagé sur le réseau social Twitter le modèle de tableur que remplit son équipe depuis trois ans, expliquant qu’il s’agit d’un bon outil pour inciter à estimer et à prendre conscience de l’empreinte carbone de ses reportages. Si ce système est, de son propre aveu, perfectible (comment, par exemple, prendre en compte l’empreinte carbone des ressources collectives, comme le chauffage ou la climatisation de la rédaction ? Ou celle liée au visionnage de leurs reportages vidéo par leurs lectrices et lecteurs ?), de nombreux éléments parviennent à être pris en compte : trajets en divers transports entre la rédaction et les lieux de tournage, consommation électrique des caméras et des batteries pendant les tournages, recours à des ordinateurs utilisés à plein régime pour le montage des vidéos… Cela a permis à Charles-Henry Groult de constater qu’en trois ans, pour quarante-trois reportages vidéo qui portaient sur le climat, environ 13,4 tonnes d’équivalent CO2 ont été émis, soit autant que ce que le mode de vie d’une personne française émet en moyenne en un an et demi en termes de pollution. Pour tâcher de réduire cette empreinte carbone, plusieurs nouvelles règles ont donc été adopté et visent en particulier la question des transports, élément qui pèse le plus lourd dans l’empreinte carbone d’un reportage. Il a ainsi été décidé de ne plus prendre l’avion pour des reportages en métropole, d’étendre le nombre de jours passés sur place afin d’y réaliser au moins deux reportages lorsqu’un reportage nécessite de prendre l’avion pour se rendre à l’étranger, ou encore de se déplacer uniquement en transports en commun en Ile-de-France. Détail intéressant à relever : pour faire connaître leur démarche auprès de leurs lectrices et lecteurs, Le Monde fait désormais preuve de transparence et affiche systématiquement et distinctement le bilan carbone de chacun de ses reportages à la fin de ceux-ci.

Capture d’écran de la fin d’un reportage vidéo du Monde, avec le bilan carbone de celui-ci affiché en bas à droite de l’écran


A la radio, c’est également un grand groupe, Radio France, qui a récemment décidé d’accentuer ses efforts et d’engager, pour reprendre les termes employés par le service public de radio, «un tournant environnemental», de sorte à pouvoir prétendre être «un média écologiquement responsable». Là-encore, une série d’engagements a été pris et rassemblé sous la forme d’une charte, dévoilée le 29 août dernier.

La charte de Radio France


Parmi ses engagements :

- Soutenir le fait que l’existence et l’origine humaine du dérèglement climatique soit désormais un fait scientifique établi et non plus une opinion parmi d’autres en sortant ces sujets des débats possibles à propos du dérèglement climatique ;

- Exclure progressivement la publicité pour des produits et services particulièrement polluants sur les diverses antennes du groupe ;

- Ou encore adopter un plan de sobriété énergétique, qui passe par la limitation des températures de chauffage et de climatisation des bâtiments du groupe, ou bien l’extinction de l’ensemble des éclairages non-indispensables la nuit.



Et à la télévision ?


Difficile, en revanche, de trouver des traces d’engagements clair en la matière de la part des chaînes de télévision.


En cette rentrée, la création d’une «cellule environnement/climat» à la rédaction nationale des JT de France 2 et France 3 a été annoncé, signe que les moyens sont, plus que jamais, désormais mis par le service public de télévision pour traiter avec sérieux l’actualité environnementale. Autre illustration de cela : le lancement durant l’été 2021, en association avec le groupe audiovisuel public régional allemand WDR, du média numérique «NOWU» (qui fait partie des médias signataires de la charte initiée par Vert), «une nouvelle offre de service public européenne qui répond au besoin d’information et d’engagement très fort de la jeune génération en faveur de l’environnement».

Suivi, en France, par près de 30 000 personnes sur Instagram et 25 000 personnes sur TikTok, NOWU (pour «now, you», «maintenant, toi» en français) se veut un média positif (privilégiant le partage de solutions formulées et autres initiatives mises en place pour faire face aux divers problèmes induits par le dérèglement climatique) et interactif (grâce aux nombreux quiz qu’il propose). Informations, interviews, conseils… l’actualité est au cœur de ce nouveau média.


Côté chaînes privées, leur engagement reste timide. Celui-ci se résume bien souvent à la diffusion de quelques programmes ouvertement dédiés à l’environnement (comme «Génération Ushuaïa», tous les samedis matins à 10h45 sur TF1 depuis 2021), ou bien à l’organisation d’opérations spéciales chaque année sur leurs antennes (diffusion de films et de documentaires environnementaux pendant vingt-quatre heures sur TMC à l’occasion de la «journée de la Terre» en avril, mise à l’honneur de l’écologie dans les différents programmes des chaînes du groupe M6 lors de la «semaine green» en février…).



D’après un sondage Viavoice réalisé en 2021 à l’occasion des Assises du journalisme, 53% des personnes interrogées estimaient que les journalistes et les médias n’accordent «pas assez de place» aux questions posées par le dérèglement climatique et l’environnement. Le traitement médiatique de ces questions est, de plus, jugé «anxiogène» (pour 35% des personnes interrogées) et «moralisant» (25%). Celui-ci gagnerait à être davantage «porteur de solutions» (pour 51% des personnes interrogées), à l’origine d’informations vérifiées (42%) et «pédagogique» (35%). Trois recommandations formulées par la «charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique». Reste plus qu’à passer des paroles aux actes désormais.

Comments


bottom of page