Lancement de «Ici tout commence» (TF1) : Le soap opera à la sauce française a le vent en poupe
Ce mois-ci, un nouveau «soap opera» fait son apparition sur TF1. Son nom : «ici tout commence». Trois ans après le lancement de «Demain nous appartient», ce sera le deuxième feuilleton diffusé chaque jour par la chaîne. Mais surtout, avec «Un si grand soleil» sur France 2 et «Plus belle la vie» sur France 3, cela ne fera pas moins de quatre feuilletons qui seront proposés en soirée. Une programmation inédite dans le PAF sur laquelle les acteurs de ce dernier n’auraient certainement pas parié il y a quelques années.
Un soap opera, késako ?
Communément traduit ou compris à tort comme désignant simplement un feuilleton, le «soap opera», ou «roman-savon» au Québec, est un genre télévisuel spécifique et plus complexe que la définition qui en est donné. «Soap» signifie «savon» en anglais. Vous me direz, quel rapport avec une fiction ? Et bien, dans les années 1950, 4 téléspectateurs sur 10 en journée étaient des femmes au foyer. Les publicitaires avaient donc tout intérêt à faire un maximum de publicité pour leurs produits durant cette tranche horaire. C’est ainsi que les séries diffusées à l’époque se retrouvaient souvent sponsorisées par des fabricants de savon. Depuis, le nom est resté, et cet anglicisme a imprégné le jargon télévisuel français.
Mais concrètement, qu’est-ce qui différencie un soap opera d’un feuilleton ou d’une série ? A vrai dire, pas grand chose. En fait, un soap opera désigne une sous-catégorie de feuilleton (c’est-à-dire une fiction dont les épisodes ne peuvent se voir indépendamment les uns des autres). Ce terme est généralement employé pour désigner un feuilleton sentimental, plutôt de piètre qualité, d’où un usage de ce terme souvent connoté négativement, à l’instar de celui de «télénovela», qui désigne des soap opera produits en Amérique latine et qui bénéficient de peu de moyens. Traditionnellement, le soap opera propose en parallèle plusieurs histoires, qui peuvent se croiser et influer les unes sur les autres ou être complètement indépendantes les unes des autres. Par exemple, pour Plus belle la vie, «la série est basée sur trois grands axes : une intrigue principale (chargée de générer du suspens, donc avec un peu de polar, un peu thriller, etc), une intrigue secondaire (c’est une histoire qu’on essaye de caler par rapport à une donnée sociale ou un fait de société qui nous concerne tous) et de petites histoires plus comiques.» explique Hubert Besson, producteur du feuilleton entre 2004 et 2017, dans un article de Slate datant de 2010. De plus, comme c’est le cas pour de nombreux feuilletons, les épisodes de soap opera s’achèvent habituellement par un cliffhanger, un suspens, qui incite le téléspectateur, piqué à sa curiosité, à regarder le prochain épisode pour savoir ce qu’il en est. En règle générale, un soap opera se propose de suivre le quotidien d’un groupe de personnages qui travaillent au même endroit ou bien de personnages qui appartiennent à une même famille. En clair, c’est sans doute la journaliste de France inter Sonia Devillers qui a résumé le mieux ce genre télévisuel dans L’édito M en 2018 : «Un soap, c’est : ‘’Sonia aime Claude qui aime Léa qui aime Sophia qui, malheureusement, aime Nicolas’’. Dans un soap, ça peut durer 13 442 épisodes. Parce qu’à Sophia, on a caché le secret de sa naissance. En fait, elle est la sœur de Nicolas. Amour impossible. C’est donc une forme narrative en droit interminable.».
En terme de production, le soap opera se distingue également sensiblement d’une série ou de n’importe quel type de feuilleton. En effet, il suffit de voir, par exemple, le rythme de tournage d’un soap opera. Peu de temps pour recommencer des prises, des dialogues à connaître rapidement, des scénarios et des dialogues imaginés à la chaîne par des équipes composées au moins d’une dizaine de personnes… Le rythme est bien souvent soutenu du fait que le tournage peut être permanent lorsqu’il s’agit d’une fiction diffusée quotidiennement tout au long de l’année. Si ce mode de fonctionnement industriel peut se révéler assez formateur pour permettre aux jeunes acteurs et actrices d’améliorer leur jeu et de gagner en aisance, il ne rend pas toujours service à la qualité du feuilleton, qui tombe parfois dans la facilité avec des scénarios redondants, truffés d’incohérences ou assez rocambolesques.
Toujours est-il que la recette semble fonctionner. Certains soap opera connaissent d’ailleurs une longévité déconcertante, à l’instar des Feux de l’amour, diffusé chaque midi depuis 1973 sur la chaîne américaine CBS, ou Amour, gloire et beauté, diffusé en début d’après-midi depuis 1987 sur la même chaîne. Si le soap opera s’est d’abord développé aux Etats-Unis, l’Europe en est aussi friande, si bien qu’elle ne s’est pas privée de proposer ses propres créations dans ce registre, dont certaines connaissent aussi de grands succès d’audience. Ainsi, en Allemagne, Le rêve de Diana dure depuis 2006 (19h45, RTL), mais les téléspectateurs peuvent également vivre Au rythme de la vie depuis 1992 (20h15, RTL), adaptation du feuilleton néerlandais du même nom diffusé depuis 1990 au Pays-Bas (20h, RTL4). En Belgique, les téléspectateurs suivent assidûment Thuis depuis 1995 (20h10, Eén). Toutefois, avec plus de 10 000 épisodes à son actif, le plus vieux soap opera encore diffusé à ce jour reste Coronation street, à l’antenne depuis 60 ans sur ITV. C’est justement au regard de la longévité de ce type de programme, et donc de la fidélité de leur public, que le magazine américain Time a estimé en 1976 que les soap opera constituaient «le marché le plus lucratif de la télé».
Un intérêt français assez récent pour le soap
En revanche, en France, le public s’est longtemps désintéressé de cette tendance télévisuelle. Pourtant, ce n’est pas faute des grands groupes audiovisuels de l’époque d’avoir essayé de surfer sur cette vague. Le public français a certes pu être au rendez-vous pour certains soap opera étrangers, comme Santa Barbara (1985-1994, TF1), Côte Ouest (1988-1995, TF1), Beverly Hills 90210 (1993-2001, TF1) ou encore Dallas (1981-1988 puis 1995-1996, TF1 et La Cinq). Toutefois, dès qu’il s’agissait de productions françaises, elles étaient systématiquement boudées. Que ce soit Rue Carnot (1984-1985, Canal+), La vallée des peupliers (1986, Antenne 2), Demain l’amour (1986-1987, FR3), Voisin, voisine (1988-1989, La Cinq) ou encore En cas de bonheur (1989-1990, TF1), aucun soap français n’a connu plus d’une saison.
Pour Marjolaine Boutet, universitaire spécialisée en histoire contemporaine, l’incapacité de créer un soap à la française s’expliquait en partie par des difficultés d’adaptation sur le plan technique. Dans un article de 20 minutes en 2018, elle explique que «notre télévision est une télévision de réalisateurs et non de scénaristes», si bien que «quand le réalisateur est le maître d’œuvre, cela implique des fictions courtes car il ne va pas s’engager sur de trop longues périodes.» Marjolaine Boutet ajoute [qu’] «on a aussi mis du temps à faire travailler les scénaristes en équipe, or, pour produire une série quotidienne, il faut une dizaine de personnes capables d’écrire à la chaîne, de manière industrielle.»
2004 : «Plus belle la vie» pour le soap français
Il aura fallu attendre 2004, avec le lancement de Plus belle la vie sur France 3, pour qu’un soap opera s’implante durablement dans le PAF. Et pourtant, à l’origine, il n’était pas loin de connaître le même sort que les précédentes tentatives françaises en matière de soap. Durant les premières semaines de diffusion, les audiences du feuilleton étaient plus que mauvaises. Sauvé par la durée du contrat qui liait France Télévisions et la société de production de Plus belle la vie, un engagement qui aurait coûté trop cher à rompre, le programme n'a eu que six mois pour réussir à faire ses preuves.
Au départ, Plus belle la vie avait vocation à raconter le quotidien dans ce qu’il y a de plus banal des habitants du Mistral, un quartier fictif de Marseille. «Roland obtiendra-t-il un prêt bancaire malgré son taux de cholestérol élevé ? Avant mon arrivée, le suspense de la série se résume à peu près à ça.» se rappelle Olivier Szulzynger, auteur et showrunner pour le feuilleton entre 2004 et 2016, dans un article de Vanity Fair en 2019. Mais en constatant que la sauce ne prenait pas, les scénaristes se sont alors décidés à prendre un autre virage, en proposant davantage d’intrigues dramatiques autour de meurtres, de secrets de famille et de mystères. «Un jour, c’est un psychiatre serial killer qui hypnotise ses victimes à distance. Un autre, un adolescent dans le coma qui, depuis les limbes, tente désespérément de prévenir son père en péril… Les responsables de France 3 crient au fou. Mais en neuf mois, le nombre de téléspectateurs passe d’un million à quatre.» résume bien le magazine dans le même article.
Depuis, même après seize années de diffusion quotidienne, Plus belle la vie est toujours autant un succès. Le feuilleton attire en moyenne 3,8 millions de téléspectateurs chaque soir devant France 3, soit 15,6% du public devant sa télévision entre 20h20 et 20h40, se classant juste derrière les JT de TF1 et de France 2 ainsi que la fiction de M6 Scènes de ménages. De plus, en replay, ce ne sont pas moins de 430 000 téléspectateurs supplémentaires en moyenne qui rattrapent chaque épisode du feuilleton.
Parmi les particularités du feuilleton qui font son succès, il y a probablement son réalisme qui, même s’il est moins prépondérant qu’au début du programme, reste bien présent. En effet, les intrigues de Plus belle la vie intègrent régulièrement des thématiques en lien avec les débats du moment dans l’actualité, comme, par exemple, les familles recomposées, l’homoparentalité, le don du sang, le racisme ou encore la pollution. Parfois, ces intrigues font même l’objet de polémiques tant elles semblent être précurseuses. C’est le cas de l’arrivée d’un couple d’hommes dès 2005, d’un rapport sexuel à trois sous poppers, ou bien de la confection d’un joint. Toutefois, le risque de s’aventurer sur ce genre de terrain dans une fiction serait alors de verser davantage dans le militantisme ou le politiquement correct plutôt que dans le divertissement, ce qui aurait certainement pour effet de voir un certain nombre de téléspectateurs se détourner du feuilleton. Néanmoins, Plus belle la vie parvient relativement bien à éviter de tomber dans ce piège. «Nous ne sommes pas là pour prendre position, mais pour exposer des points de vue. Nous faisons toujours attention de donner la parole au pour et au contre, sans nous engager définitivement.» assure Hubert Besson, producteur du feuilleton entre 2004 et 2017, dans un article de Slate datant de 2010.
Mais l’exemple le plus marquant du réalisme du feuilleton est sans nul doute illustré par sa réactivité par rapport à l’actualité. Le résultat de l’élection présidentielle française, le décès d’une célébrité, un évènement majeur de quelconque nature (comme l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015, l’incendie de Notre-Dame de Paris en 2019 ou encore, plus récemment, la pandémie de coronavirus)… Toute actualité est susceptible de faire l’objet d’une référence au cours d'une scène pour coller au plus près du quotidien des téléspectateurs. Concrètement, lorsque ce genre de nouvelle importante survient, toutes les équipes de production sont mobilisées de façon à pouvoir réagir très vite. «On a des auteurs extrêmement réactifs qui écrivent une petite scène en quelques heures» explique Michelle Podroznik, autre productrice du feuilleton depuis son lancement, dans un article du Huffington Post en 2019. «Ensuite, on prend les comédiens qui sont sur place [dans les studios à Marseille], on enregistre la scène le matin à 10h entre deux tournages. Elle est visionnée et le soir, la scène est intégrée à l’antenne.» poursuit-elle. Il s’agit d’une véritable prouesse technique pour une fiction lorsque l’on sait qu’en temps normal, un épisode est enregistré entre quatre et six semaines avant sa diffusion sur France 3. «Ce qui serait très bête, c’est de ne pas le faire, car on en a les moyens, on tourne tous les jours» estime Laurent Kerusoré, acteur du feuilleton, dans le même article, avant d’ironiser : «Ce qui est terrible maintenant, c’est qu’après une catastrophe, les gens se disent : ‘’tiens, qu’est-ce qu’ils vont faire dans ‘Plus belle la vie’ ?’’».
2017 : «Demain nous appartient» se disent les soap opera
Seconde chance sur TF1, Cinq sœurs sur France 2, Pas de secrets entre nous ou Paris 16e sur M6… Tous les principaux concurrents de France 3 ont, par la suite, redoublé d’effort pour essayer d’imposer à leur tour leur propre feuilleton, sans plus de réussite qu’avant Plus belle la vie.
Il faudra attendre une dizaine d’années après le lancement du feuilleton de la trois pour voir un autre soap tirer son épingle du jeu, à savoir Demain nous appartient sur TF1 en 2017. A l’époque, la case du 19-20h est investie par des jeux depuis plusieurs années, quand la concurrence fait plutôt la part belle aux talk-shows. Programmer un feuilleton constituait donc une véritable contre-programmation. Seulement, depuis l’arrêt de Money drop, TF1 peinait à installer un nouveau jeu aussi performant en terme d’audiences. Le pari était donc risqué à cette heure de grande écoute, et donc stratégique sur le plan publicitaire, mais le jeu pouvait en valoir la chandelle. Pour pouvoir limiter la casse en cas d’échec, Demain nous appartient est lancé au début juillet, ce qui permet de jouer la carte de la «saga estivale». A grand renfort de publicité et de personnalités bien connues du grand public dans le casting, à l’instar d’Ingrid Chauvin ou de Lorie, le programme a vite trouvé son public. Le feuilleton a finalement passé le test fatidique de la rentrée. Le succès a alors demeuré, et Demain nous appartient a même réussi à rassembler un peu plus encore durant l’automne qui a suivi. A l’heure actuelle, le soap de la une attire en moyenne 3,9 millions de téléspectateurs chaque soir, soit 20% du public devant sa télévision entre 19h15 et 19h45, ce qui la classe au coude à coude avec le jeu de Nagui N’oubliez pas les paroles (France 2) et les JT régional et national de France 3. Côté replay, le public du feuilleton de la une semble aussi fidèle que celui de la trois puisqu’en moyenne, environ 467 000 téléspectateurs supplémentaires rattrapent chaque épisode de Demain nous appartient.
Là où se distingue le soap de TF1 par rapport à celui de France 3, c’est dans ce qui fait sa force. Tout d’abord, Demain nous appartient se cantonne davantage aux intrigues sentimentales, bien qu’il lui arrive parfois d’aborder des débats de société, sans toutefois les approfondir, à l’instar de la transidentité incarnée par le personnage de Morgane, de la collapsologie représentée par ceux de Laura et de ses parents adoptifs, ou bien du harcèlement scolaire et numérique à travers une intrigue autour des personnages de Sofia et Arthur. De plus, le montage rend le feuilleton redoutablement addictif puisque les différentes scènes s’enchaînent sans temps mort, allant parfois jusqu’à couper une scène par un bout d’une autre scène, ce qui contribue à imposer un rythme rapide au feuilleton. C’est sans compter sur le soin particulier accordé au cliffhanger en fin de chaque épisode, particulièrement efficace pour encourager le téléspectateur à revenir le lendemain pour découvrir la suite du feuilleton.
Mais c’est surtout de par son casting que le feuilleton de TF1 se distingue. En effet, au fil des intrigues, plusieurs autres acteurs et actrices connus du grand public ont rejoint le casting. C’est le cas de Véronique Jannot, de Frédéric Diefenthal ou encore de Linda Hardy. De plus, à la différence de France 3, TF1 a su capitaliser sur la popularité naissante de certains et certaines de ses jeunes interprètes. Nous pouvons penser, par exemple, à Clément Rémiens (qui a remporté Danse avec les stars en 2018, joué dans le téléfilm Pour Sarah en 2019 et est l’un des personnages principaux du nouveau feuilleton quotidien de TF1 Ici tout commence), Solène Hébert (qui a joué dans la série Grand Hôtel cette année) ou Lou Jean (en promouvant la sortie de ses différents singles).
2018 : Ca y est, la télé française promet «un si grand soleil» aux soap opera
Delphine Ernotte y pensait depuis son élection à la tête du service public en 2015, cela a finalement vu le jour trois ans plus tard, après s’être faite doublée par la concurrence : un an après le lancement de Demain nous appartient sur TF1, France 2 lançait son feuilleton quotidien, baptisé Un si grand soleil. Comme pour ses concurrents, l’enjeu était grand au vue du coût de production conséquent d'un feuilleton quotidien. Toutefois, l’horaire de diffusion limitait les risques. En effet, diffusé entre 20h40 et 21h, le feuilleton bénéficie de l’audience élevée du JT, qui a tendance à rester devant le soap s’il est diffusé directement après le journal, ainsi que du public qui arrive en avance pour ne pas manquer le début du programme en prime-time, dont l’audience est souvent forte. De plus, cet horaire permet d’éviter la confrontation avec Demain nous appartient ou Plus belle la vie. Résultat : le public est au rendez-vous puisqu'Un si grand soleil réunit, en moyenne, 3,8 millions de téléspectateurs chaque soir, soit 15,6% du public devant sa télévision à ce moment-là, ce qui le classe au coude à coude avec le programme court de TF1 C’est Canteloup et la fiction de M6 Scènes de ménages. Pour ce qui est du replay, si Un si grand soleil est légèrement en deçà par rapport à ses deux autres concurrents, il n’a pas à rougir pour autant des 240 000 téléspectateurs supplémentaires qui rattrapent, en moyenne, chaque épisode du feuilleton de la deux.
Moins populaire, pour l’heure, que les feuilletons de la une et de la trois, Un si grand soleil se démarque incontestablement d’eux de par l’esthétique qu’il offre. En effet, les images sont plus léchées, si bien qu’elles donnent spontanément l’impression au téléspectateur de suivre une fiction finement travaillée et de grande qualité, ce qui tranche avec l’image qui est communément partagée d’un soap. Pourtant, la recette est la même : des personnes ordinaires sont confrontées à des histoires extraordinaires. Cette impression vient donc probablement du fait que la moitié des scènes sont tournées en extérieur, ce qui change des autres feuilletons où tout est quasiment tourné dans des décors fabriqués spécialement pour l’occasion. Un argument que n’a pas manqué de prendre en compte TF1 pour son nouveau feuilleton quotidien, qui se déroulera principalement dans un vrai château qui a, toutefois, été rénové en vue du tournage.
2020 : Et si, finalement, «ici tout commence» pour les soap opera en France ?
«’’Plus belle la vie’’ passe au moment où les gens dînent. ‘’Demain nous appartient’’ quand ils sont en cuisine. […] ‘’Un si grand soleil’’ s’apprécie à l’heure de la digestion» constatait Vanity Fair dans un article datant de 2019. Semble t-il que dorénavant, ces personnes prendront leur apéritif devant Ici tout commence.
Fidèle au principe du soap opera, le nouveau feuilleton quotidien de TF1 se proposera de suivre le quotidien des différents acteurs d’un cadre précis, à savoir une prestigieuse école de cuisine. Une fois encore, comme elle l’avait fait pour Demain nous appartient, TF1 a décidé de miser sur plusieurs personnalités bien connues du public parmi les têtes d’affiches de son feuilleton, à savoir Francis Huster, Frédéric Diefenthal et Clément Rémiens, transfuges de Demain nous appartient, Azize Diabaté (popularisé par la série de TF1 Les bracelets rouges) ou encore Agustin Galiana (popularisé en France par la série de TF1 Clem). En revanche, chose suffisamment rare pour être souligné : une des actrices campera un personnage aveugle. De plus, Ici tout commence présentera également un des personnages comme un individu non genré, pansexuel, au look androgyne. Du jamais vu pour une fiction grand public en France. Espérons, toutefois, que ces personnages ne seront pas réduits à ces simples caractéristiques et qu’une fois que le public aura éventuellement été sensibilisé à ces thématiques à travers une intrigue, ils connaitront une identité plus complexe qu’ils pourront faire découvrir au fil d’autres intrigues.
Quoi qu’il en soit, avec Ici tout commence, TF1 espère bien réitérer le pari gagnant opéré il y a trois ans avec Demain nous appartient. En effet, comme à l’époque, la chaîne, concurrencée au créneau horaire concernée, voudrait se réaffirmer en tant que leader. En l’occurrence, le divertissement Bienvenue chez nous et ses multiples déclinaisons, diffusé depuis 2012 entre 18h et 19h, paie l’usure mécanique de son audience au fil des années, pointant ces derniers mois à 1,5 million de téléspectateurs (12,6% de part d’audience) en moyenne. Programmer une fiction constituerait, une nouvelle fois, une contre-programmation de la part de TF1 à cette heure, également richement peuplée de jeux et de talk-shows. Le pari est, toutefois, moins risqué cette fois-ci. Et pour cause, l’enjeu est ici de parvenir à ramener plus tôt le public familial de Demain nous appartient devant la chaîne ou la télévision. Pour cela, les équipes de production de Demain nous appartient ont misé sur une stratégie finement réfléchie : proposer, juste avant le lancement de Ici tout commence, une intrigue autour de plusieurs personnages du nouveau soap, tout en embarquant dans celui-ci plusieurs personnages récurrents de Demain nous appartient. Pour savoir si cette stratégie aura été payante, il faudra patienter encore un peu. Néanmoins, il semble probable que l’effet de curiosité autour de Ici tout commence aurait été moins important si cette passerelle entre les deux feuilletons quotidiens de TF1 n’avait pas été établi.
«Au départ, ‘’Plus belle la vie’’ est une commande du service public en réaction à la télé-réalité, pour montrer une autre réalité de notre société» se souvient Hubert Besson, ancien producteur de Plus belle la vie. Et si, après la télé-réalité dans les années 2000 et les talk-shows dans les années 2010, le soap opera s’imposait, dans les années 2020, comme la nouvelle manière de rendre compte de l’imaginaire et du quotidien des téléspectateurs et devenait donc le champ de bataille sur lequel s’affronte les chaînes de télévision française ?
Sources:
- Marina Alcaraz, Les Echos, Télévision : la bataille des feuilletons quotidiens fait rage, 31 octobre 2020.
Article accessible en ligne : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/television-la-bataille-des-feuilletons-quotidiens-fait-rage-1260947
- Sonia Devillers, France Inter, La France vire au soap, 27 août 2018.
Chronique à écouter en ligne : https://www.franceinter.fr/emissions/l-edito-m/l-edito-m-27-aout-2018
- Pierre Langlais, Slate, Plus belle la vie ou le réalisme télévisé, 7 février 2010.
Article accessible en ligne : http://www.slate.fr/story/16693/plus-vraie-la-vie
- Merwane Mehadji, TV Magazine, D’où vient le terme «soap opera» ?, 10 juillet 2015.
Article accessible en ligne : https://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/series/2015/07/10/28005-20150710ARTFIG00302-d-o-vient-le-terme-soap-opera.php
- Merwane Mehadji, TV Magazine, Téléfilm, série, feuilleton : quelle est la différence ?, 17 juillet 2015.
Article accessible en ligne : https://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/series/2015/07/17/28005-20150717ARTFIG00281-telefim-serie-feuilleton-quelle-est-la-difference.php
- Fabien Randanne, 20 minutes, «Un si grand soleil», «PBLV», «DNA»… Comment la France a fini par succomber aux soap operas, 26 août 2018.
Article accessible en ligne : https://www.20minutes.fr/arts-stars/television/2324731-20180826-si-grand-soleil-pblv-dna-comment-france-fini-succomber-soap-operas
- Jérôme Roulet, Toute la télé, Les feuilletons quotidiens français, de Rue Carnot à Plus belle la vie, 13 mars 2010.
Article accessible en ligne : https://www.toutelatele.com/les-feuilletons-quotidiens-francais-de-rue-carnot-a-plus-belle-la-vie-23478
- Caroline Sallé, Le Figaro, Avec «Ici tout commence», TF1 veut remettre toute la famille devant la télévision, 23 octobre 2020.
Article accessible en ligne : https://www.lefigaro.fr/medias/avec-ici-tout-commence-tf1-veut-remettre-toute-la-famille-devant-la-television-20201023
- Sud Ouest, «Plus belle la vie», «Demain nous appartient»… : pourquoi ces feuilletons séduisent-ils de plus en plus les Français ?, 7 juin 2019.
Article accessible en ligne : https://www.sudouest.fr/2019/06/07/plus-belle-la-vie-demain-nous-appartient-pourquoi-ces-feuilletons-seduisent-ils-de-plus-en-plus-les-francais-6180762-10407.php
- Clément Vaillant, Huffington Post, Comment «Plus belle la vie» arrive à réagir à l’actualité depuis 15 ans, 24 septembre 2019.
Article accessible en ligne : https://www.huffingtonpost.fr/entry/comment-plus-belle-la-vie-arrive-a-reagir-a-lactualite_fr_5d603c3de4b02cc97c8d62e5
- Vanity Fair, Comment les feuilletons télévisés français résistent à Netflix, 26 août 2019.
Article accessible en ligne : https://www.vanityfair.fr/culture/ecrans/story/olivier-szulzynger-lempereur-du-soap-opera-francais/10238
- Wikipédia, Soap opera [page consultée le 27 octobre 2020; dernière modification de la page le 26 octobre 2020].
Page accessible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Soap_opera#Narration