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France 4/France Ô: un avenir incertain pour deux chaînes nécessaires qui cherchent encore leur place


En juin 2018, la ministre de la culture de l’époque, François Nyssen, présente le plan de réforme de l’audiovisuel public voulu par le gouvernement. France Télévisions doit faire des économies conséquentes, prévues à hauteur de 160 millions d’euros d’ici 2022. Le couperet tombe : le service public va devoir se séparer de deux de ses chaînes, France 4 et France Ô, jugées pas assez rentables et donc plus utiles pour enrichir l’offre des autres antennes, et surtout renforcer l’offre numérique du service public. Deux ans après, et une pandémie plus tard, le sort réservé à France 4 et France Ô semble en suspens. Retour sur l’histoire et les perspectives d’avenir de ces deux chaînes nécessaires au service public qui ne sont jamais parvenues à se rendre essentielles.


Partie 2. France Ô, une chaîne boudée par un manque de curiosité et handicapée par un manque de moyens




Un renforcement de la visibilité de l’outre-mer qui avait bien commencé


France Ô est née en février 2005, succédant à la chaîne «RFO Sat», diffusée sur le câble et le satellite depuis 1998. Le but de cette opération était de marquer l’intégration du groupe RFO (Réseau France Outre-mer), propriétaires de nombreuses chaînes télé et radio dans les territoires d’outre-mer, au groupe France Télévisions. La chaîne conserve alors pour objectif de constituer un lien entre la métropole et l’outre-mer à travers la diffusion de programmes mettant en avant la culture et l’actualité des territoires français au-delà de la métropole.


Jusque là toujours uniquement disponible par satellite en métropole (à l’exception de l’île-de-France), le président de la république de l’époque, Nicolas Sarkozy, décide de renforcer la visibilité de l’outre-mer en supprimant notamment la restriction de diffusion de France Ô, qui débarque ainsi sur la TNT à la rentrée 2010. C’est à ce moment-là que la dix-neuf choisit de s’affirmer plus largement comme étant «la chaîne de la mixité et de la diversité culturelle», désireuse d’«offrir une vitrine de choix à toutes les composantes qui participent de l’identité de la communauté nationale». France Ô a alors vocation à devenir une chaîne généraliste reposant sur trois piliers éditoriaux : l’outre-mer, l’ouverture sur le monde et le métissage des cultures.


Seulement, cet objectif, aussi noble et rare soit-il à la télévision, requiert de trouver un savant mélange entre les différents genres de programmes proposés afin que la chaîne renvoie une image clairement définie aux yeux des téléspectateurs. Or, l’offre hétéroclite à l'antenne (entre JT d’outre-mer, documentaires, magazines de débat, émissions consacrées à la culture urbaine, télénovelas, compétitions sportives et rediffusions de programmes d’autres chaînes du groupe) en a perdu plus d’un. Y compris l’ancien président de la république, François Hollande, qui affirmait en 2014 que «France Ô doit redevenir véritablement une chaîne ultramarine», ce qu’elle a fait, sans pour autant recueillir davantage de succès.



«A force de vouloir être la télévision de tout le monde, France Ô n’est plus aujourd’hui la télévision de personne»


Mais il ne faut pas se leurrer quant aux raisons de l’échec de France Ô. Contrairement à l’impression que cette histoire peut donner, celui-ci n’est pas dû à un trop-plein d’ambition de la part de France Ô, bien au contraire. En effet, comment pouvoir ambitionner sérieusement d’accroître la visibilité des outre-mer en bénéficiant pour cela du budget le plus faible des chaînes de la TNT ainsi que des chaînes du service public ? 20 millions d’euros par an, cela représente un budget deux fois moins élevé pour la grille des programmes de France Ô que celui de France 4, qui est lui-même 4 fois moins élevé que celui de France 5, une vingtaine de fois moins élevé que celui de France 2 ou France 3, et 2 à 3 fois moins élevé que celui de C8 ou TMC, en tête des audiences de la TNT.


Et même sans gros budget, France Ô aurait pu mieux satisfaire son objectif si, justement, elle avait montré davantage d’ambition. Il n’est pas indispensable d’avoir de gros moyens pour pouvoir traiter de manière efficace, inspirante et originale l’actualité et le patrimoine des outre-mer, ce qui compte, avant tout, est l’intention. Il suffit, pour s’en rendre compte, de comparer la situation de France Ô à celle de L’équipe, qui possède les droits de peu de compétitions sportives mais qui, grâce sa créativité et à sa détermination, est quand même parvenue à se faire une place au sein du PAF, et surtout à se démarquer des autres chaînes sportives. Comme l’explique l’écrivain Claude Ribbe dans un édito dans le journal L’Obs en 2014, «Contrairement aux idées reçues, les outre-mer sont une richesse pour la France. […] Cette richesse historique est de nature à alimenter des programmes audacieux et innovants. France Ô pourrait être le moteur de documentaires de qualité, de docu-fictions, de fictions, mais aussi de productions cinématographiques dans lesquels le reste du groupe se refuse ordinairement à s’engager. Le rôle de France Ô, c’est d’être une fenêtre qui permettra à la France de découvrir ces richesses insoupçonnées, de lutter contre les préjugés et les clichés qui ravagent la France, et d’apporter un peu de fraîcheur à un service public à bout de souffle.» Malheureusement, «A force de vouloir être la télévision de tout le monde», mais sans personne pour incarner cette chaîne ni programmes suffisamment interpellants ou fédérateurs ayant permis de gagner en visibilité, «France Ô n’est plus aujourd’hui la télévision de personne.» fait remarquer l’écrivain.



L’avenir de l’outre-mer sur le service public sera un peu partout et surtout un peu nulle part…


Bien que l’annonce de l’arrêt de France Ô ait suscité bien moins d’émoi que celui de France 4, il n’en reste pas moins qu’il s’agit quand même d’une question délicate à trancher. Deux camps semblent s’affronter.


D’un côté, les personnes porteuses d’une conviction ferme et légitime : les territoires d’outre-mer font partie de la France au même titre que la métropole, si bien que ses visages, son actualité et sa culture doivent être présents sur l’ensemble des antennes du service public et non cantonnés à une unique chaîne. C’est l’avis du président de la république actuel, Emmanuel Macron, qui expliquait, lors des assises des outre-mer en 2018, «N’ayons pas un débat un débat un peu hypocrite qui consiste à dire : comme personne ne veut faire de décrochage sur l’audiovisuel public noble, on a crée un audiovisuel public national périphérique qui s’appelle France Ô, personne n’en est vraiment content, mais on va le garder comme ça parce que c’est un système de reconnaissance. Ça n’est pas satisfaisant.» Bien avant lui, Luc Laventure, directeur des antennes de France Ô et de La première entre 1998 et 2011, était déjà de cet avis. A l’époque du passage de France Ô sur la TNT en 2010, il avait déclaré, lors d’une interview accordée au journal Le parisien, [qu’il trouvait] «très intéressant qu’il [Rémy Pflimlin, à l’époque président de France Télévisions] dise qu’il ne faut pas que nous soyons l’alibi de France Télévisions, afin qu’on ne dise pas que nous sommes une chaîne ghetto. Au contraire, il faut que la diversité irradie l’ensemble des antennes du groupe.» Problème : avec du recul dix ans plus tard, ce que Luc Laventure craignait s’est produit. Et même avec la successeuse de Rémy Pflimlin, Delphine Ernotte, qui s’est pourtant jurée depuis 2015 de changer l’image de «télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans» accolée au service public, la diversité peine à s’imposer à France Télévisions.


S’il serait possible de disserter longuement à propos des diverses explications possibles aux difficultés des journalistes, présentateurs/présentatrices et animateurs/animatrices originaires d’outre-mer à émerger et à s’imposer au sein du service public, l’explication paraît plus simple en ce qui concerne le contenu : derrière les grands discours d’égalité entre les territoires, les français, en réalité, manquent cruellement de curiosité vis-à-vis des territoires d’outre-mer. Il suffit de regarder les audiences de France Ô pour le constater. Au dernier trimestre 2017, sa part d’audience moyenne mensuelle tournait autour de 0,5%, la classant dernière de l’ensemble des chaînes télé gratuites. France Ô est d’ailleurs régulièrement moquée pour ses audiences quasi nulles. Les audiences de France Ô sont même devenues si insignifiantes que, sous couvert d’économies nécessaires, France Télévisions a arrêté de demander quotidiennement les audiences de France Ô à l’institut de mesure d’audience Médiamétrie (cela représente certes une économie d’1,5 million d’euros par an, mais il semble évident que cette raison n’était pas la motivation principale de cette décision). Peut-être qu’en retour, certains lecteurs ou certaines lectrices rétorqueront que ces résultats décevants ne traduisent pas nécessairement un manque d’intérêt pour les outre-mer mais plutôt envers une grille des programmes de France Ô jugée décevante dans son ensemble et qui dissuaderait donc les téléspectateurs de la consulter de temps à autre. En suivant cette logique, les programmes consacrés aux outre-mer auraient un public bien plus large s’ils étaient diffusés sur une autre chaîne du groupe ayant davantage de visibilité, ce qui est possible.


Il sera, dans ce cas, intéressant de suivre de près la programmation et les audiences de France 2, France 3 et France 5 dans les prochains mois. En effet, suite à la signature d’un «pacte pour la visibilité des outre-mer» en juillet 2019 avec les ministères de la culture et de l’outre-mer, France Télévisions s’est engagé à adopter dorénavant un «réflexe outre-mer». Parmi les nouveautés annoncées : programmation d’au moins un programme consacré aux outre-mer chaque mois en prime-time sur l’une des chaînes du groupe ; augmentation du nombre de sujets consacrés aux outre-mer dans les JT des chaînes du groupe ; intégration des prévisions météos des outre-mer dans les bulletins météos des chaînes du groupe ; ou encore programmation d’une opération annuelle consacrée aux outre-mer et mobilisant plusieurs chaînes du groupe sur une durée significative. Certaines nouveautés n’ont pas attendu la rentrée pour être déjà proposées : c’est le cas d’une édition outre-mer du JT de France 3, diffusée chaque midi avant les éditions régionale et nationale depuis quelques semaines. Toutefois, comme pour France 4, France Télévisions mise principalement sur une plateforme numérique pour compenser la disparition de sa chaîne. Ainsi, début juin, «Le portail des outre-mer» a été lancé, plateforme issue du rassemblement de tous les sites internet de La première (groupe audiovisuel détenu par France Télévisions et disposant d’antennes télé et/ou radio dans l’ensemble des territoires d’outre-mer) et qui permet en un clic d’accéder au fil d’actualité de tel ou tel territoire d’outre-mer.



…même si le caractère indispensable d’une antenne télé nationale dédiée n'a cessé d'essayer d'être prouvé


Face aux partisans et partisanes d’une suppression de France Ô au profit d’une infusion plus profonde de la richesse et de la diversité des outre-mer au sein du service public, d’autres personnes prônent plutôt une présence plus visible des outre-mer au sein de France Télévisions.


Pour elles, toutes les mesures annoncées pour compenser l’arrêt de France Ô constituent certes une avancée notable mais seront loin de pallier l’absence d’une antenne nationale qui leur était totalement dédiée. A en croire les chiffres fournis par le CSA en décembre 2018, l’existence de France Ô permet de faire passer la part de la représentation des personnes perçues comme résidents en outre-mer dans l’ensemble des JT en France de 0,3% à 9%. Il paraît bien difficile à l’avenir d’atteindre de nouveau un taux aussi convenable avec de vagues promesses de plus grande représentativité des outre-mer dans les JT du groupe si, en parallèle, France Ô disparaît. La plateforme numérique, présentée comme la principale alternative à l’arrêt de France Ô, risque peu, d’ailleurs, de bénéficier d’une visibilité comparable à celle d’une chaîne de télévision, indépendamment des performances de l’une ou de l’autre. Pour un certain nombre d’ultramarins, cette visibilité rendue possible au-delà de l’échelle locale avait au moins le mérite d’exister, de leur donner l’impression de ne pas être des citoyens de seconde zone.


Dans une tribune publiée récemment dans le journal Libération, un collectif d’une centaine de personnalités a rappelé, de plus, que si la part de marché de France Ô n’était que de 0,6% du public de l’hexagone en 2018, «elle y est multipliée par deux en Guadeloupe et se monte à 6,4% à Mayotte, 6% en Guyane et 5,4% en Polynésie.» Le collectif a ensuite ajouté que «Dans les outre-mer, elle devance régulièrement les chaînes France 5 ou Franceinfo. C’est dire si elle est appréciée.», avant de demander «Viendrait-il à l’idée d’un décideur de supprimer France 5 au prétexte qu’elle ne réalise pas de bons scores d’audience en outre-mer ? Evidemment non.» Certes, La première n’a pas vocation à disparaître comme France Ô. Néanmoins, ce collectif pointe ici du doigt ce qui semble constituer l’un des angles morts de cette décision : l’après-France Ô paraît être avant tout pensé pour les téléspectateurs de la métropole, dans un souci premier d’économies, et non à part égal avec les envies et les intérêts des téléspectateurs des outre-mer, ce qui semble paradoxal pour une chaîne censée leur être dédiée.


Ainsi, un certain nombre de personnes estiment que réaliser des efforts en faveur d’une meilleure inclusion des outre-mer sur l’ensemble des antennes du groupe ne devrait pas se faire au détriment de la disparition de leur principale vitrine, mais plutôt que le service public devrait les faire tout court. C’est pourquoi, au lieu d’une suppression de France Ô, le collectif d’une centaine de personnalités défend une affirmation du recentrage de la chaîne sur les outre-mer comme entamé depuis quelques années. D’après elles, France Ô constitue bien plus qu’une chaîne télé : elle est une marque, un média global qui allie télévision, radio et internet, et qui est implanté dans l’ensemble des territoires d’outre-mer grâce à La Première. France Télévisions devrait, au contraire, s’appuyer sur ce large réseau et implantation pour faire de France Ô «un outil incontournable pour l’influence de la France dans le monde», servant de «catalyseur pour la valorisation des productions et de la diffusion des œuvres audiovisuelles et culturelles de la francophonie dans les aires géographiques de l’océan Atlantique, de l’océan Indien et de l’océan Pacifique» où la France est également présente.




Si l’espoir d’un éventuel sursis accordé à France Ô avait pu se profiler au cours de ce printemps par celui sérieusement envisagé (et finalement donné) pour France 4 suite au rôle joué par la chaîne pendant le confinement, l’espoir a été de courte durée. Finalement, moins d’une semaine avant la date supposée d’arrêt de France Ô, le ministère de la culture a tranché : France Ô disparaîtra bel et bien ce mois-ci, à la date du 23 août au lieu du 9 août (France Ô devait s’arrêter à l’issue des J.O. de Tokyo ; or, étant donné qu’ils ont été reportés, cette décision peut bien attendre le lancement de la rentrée de France Télévisions à présent). France Ô va donc tirer sa révérence, dans une certaine indifférence totale, en laissant derrière elle, au regard de sa quinzaine d’années d’existence, un large sentiment de gâchis ou de rendez-vous manqué.

Sources:

- Marina Alcaraz, Les Echos, La pression monte sur la chaîne France Ô, 1er juillet 2018.

Article accessible en ligne : https://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/la-pression-monte-sur-la-chaine-france-o-133907

- Kevin Boucher, Puremédias, François Hollande : «France Ô doit redevenir véritablement une chaîne ultramarine», 22 novembre 2014.

Article accessible en ligne : https://www.ozap.com/actu/francois-hollande-france-o-doit-redevenir-veritablement-une-chaine-ultramarine/458621

- Christophe Gazzano, Puremédias, Arrêt de France 4 et France Ô : Roselyne Bachelot promet une décision «dans quelques jours», 9 juillet 2020.

Article accessible en ligne : https://www.ozap.com/actu/arret-de-france-4-et-france-o-roselyne-bachelot-promet-une-decision-dans-quelques-jours/594949

- Benjamin Meffre, Puremédias, Economies à France Télévisions : France Ô va quitter le Médiamat national quotidien, 30 novembre 2017.

Article accessible en ligne : https://www.ozap.com/actu/economies-a-france-televisions-france-o-va-quitter-le-mediamat-national-quotidien/543827

- Libération, 125 personnalités lancent un appel pour sauver France Ô, 27 juillet 2020.

Article accessible en ligne : https://www.liberation.fr/debats/2020/07/27/125-personnalites-lancent-un-appel-pour-sauver-france-o_1795326

- Ministère de la culture, Décision sur l’avenir des chaînes de France Télévisions, 4 août 2020.

Communiqué de presse accessible en ligne : https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Decision-sur-l-avenir-des-chaines-de-France-Televisions

- Ministère des outre-mer, Pacte pour la visibilité des Outre-mer, 11 juillet 2019.

Document accessible en ligne : http://www.outre-mer.gouv.fr/sites/default/files/20190711_engagements_pacte_visibilite_outre-mer.pdf

- Hélène Petit, Le Parisien, France Ô devient la 19e chaîne de la TNT nationale, 13 juillet 2010.

Article accessible en ligne : https://www.lefigaro.fr/medias/2010/07/12/04002-20100712ARTFIG00345-luc-laventure-invite-du-buzz-media-orange-le-figaro.php

- Claude Ribbe, L’Obs, François Hollande veut une France Ô ultramarine : la chaîne doit changer de cap, et vite, 25 novembre 2014.

Article accessible en ligne : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1281985-francois-hollande-veut-une-france-o-ultramarine-la-chaine-doit-changer-de-cap-et-vite.html

- Wikipédia, France Ô [page consultée le 3 août 2020 ; dernière modification de la page le 1er août 2020].

Page accessible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/France_%C3%94#cite_note-35

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