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France 4/France Ô: un avenir incertain pour deux chaînes nécessaires qui cherchent encore leur place


En juin 2018, la ministre de la culture de l’époque, François Nyssen, présente le plan de réforme de l’audiovisuel public voulu par le gouvernement. France Télévisions doit faire des économies conséquentes, prévues à hauteur de 160 millions d’euros d’ici 2022. Le couperet tombe : le service public va devoir se séparer de deux de ses chaînes, France 4 et France Ô, jugées pas assez rentables et donc plus utiles pour enrichir l’offre des autres antennes, et surtout renforcer l’offre numérique du service public. Deux ans après, et une pandémie plus tard, le sort réservé à France 4 et France Ô semble en suspens. Retour sur l’histoire et les perspectives d’avenir de ces deux chaînes nécessaires au service public mais qui ne sont jamais parvenues à se rendre essentielles.


Partie 1. France 4, une chaîne à la ligne éditoriale hésitante qui peine à s’imposer




De l’ambition d’une mini-chaîne généraliste à la réalité d’une chaîne assez fourre-tout, méconnue et sous-estimée


France 4 est née en mars 2005 grâce au développement de la TNT. La chaîne remplace alors «Festival», une chaîne détenue, entre autres, par France Télévisions et Arte et diffusée sur le câble depuis 1996. D’une offre centrée sur le cinéma et les séries en tout genre, l’ex-Festival se transforme en mini-chaîne généraliste, en élargissant son offre à la musique, les spectacles et le sport, lors de son arrivée sur la TNT. France Télévisions veut faire de France 4 «la chaîne de la jeunesse et des nouvelles générations» du groupe. A partir de la rentrée 2009, ses audiences commencent à décoller (France 4 double son audience moyenne annuelle entre septembre 2009 et 2011). En 2012, elle égalise à plusieurs reprises son record d’audience mensuelle historique (2,3% de part de marché).


Étonnamment, c’est à ce moment-là que la direction de France Télévisions décide un changement de ligne éditoriale pour la chaîne, estimant que son positionnement manque de clarté. France 4 se transforme alors en «laboratoire» de la télé, expérimentant de nombreux concepts innovants tout en misant davantage sur la créativité et la plus grande liberté de ton des web-séries. Seulement, bien que ce nouveau positionnement soit positif en terme d’image, le succès n’est pas véritablement au rendez-vous (les audiences de la chaîne stagnent, voire baissent légèrement, alors qu’elles ne cessaient d’augmenter mois après mois les années précédentes).


Dès lors, les changements successifs d’identité de France 4 au fil des années (retour à une chaîne jeunesse à la rentrée 2014, puis l’accent est davantage mis sur la famille à la rentrée 2016 plutôt que de se concentrer uniquement sur les enfants et les adolescents) au gré des nouvelles directions et des déceptions d’audience ne font que perturber les téléspectateurs, qui se détournent alors de manière assez importante de la quatorze.


Soulignons tout de même qu’en une quinzaine d’années d’antenne, France 4 a su proposer de nombreux programmes intéressants, innovants, ou qui ont fait ses belles heures. C’est le cas, par exemple, de Cam Clash (2014-2015 sur France 4, jusqu’en 2018 sur Youtube), On n’est plus des pigeons ! (2013-2016 sur France 4, depuis 2018 sur France.tv slash), Questions de génération (2008-2010), Taratata (2005-2011, entre 2011 et 2013 puis depuis 2015 sur France 2), Tokyo Reverse (2014), Touche pas à mon poste ! (2010-2012, depuis 2012 sur D8/C8), Hero Corp (2008-2017), Doctor Who (depuis 2005) ou encore Le visiteur du futur (2009-2014).



Dans l’ombre de Gulli


Mais comment expliquer que France 4 ne soit pas parvenue à imprimer sa marque en tant que chaîne jeunesse alors que Gulli a incontestablement réussi à s’imposer en tant que tel aux yeux des téléspectateurs ? Les deux chaînes ont, pourtant, été lancé au même moment. De plus, il n’y a pas de raison valable à ce que quatre chaînes d’information en continu parviennent à cohabiter sur la TNT et non deux chaînes jeunesse. D’ailleurs, il suffit de s’intéresser aux audiences moyennes mensuelles de la saison dernière pour constater que France 4 et Gulli représentent toutes deux une part d’audience équivalente (entre 1,4 et 1,7% de l’audience totale), ce qui est, par ailleurs, loin d’être su de tous et toutes.


De toute évidence, France 4 paye durablement son manque de stabilité et d’affirmation en matière de stratégie d’image, non pas principalement en terme d’audience comme nous aurions pu le penser, mais surtout en terme d’image elle-même. Ainsi, France 4 reste, au bout du compte, une chaîne méconnue au cap flou pour un grand nombre de téléspectateurs. De son côté, Gulli a certes étoffé son catalogue de programmes jeunesse au fil des années mais n’a jamais tenté d’impulser un quelconque changement radical de cap, restant depuis sa création la chaîne à destination des enfants et de la famille, reconnue du plus grand nombre.



Les jeunes préfèrent le numérique, donc l’avenir de l’offre jeunesse du service public passera surtout par le numérique


Si la chaîne jeunesse publique a vocation à disparaître, cela ne signe pas pour autant la disparition d’une offre spécifique à destination des jeunes sur le service public.


En effet, en décembre dernier, France Télévisions a créée «Okoo», né de la fusion entre «Ludo» et «Zouzous», destinée à être l’unique référence du service public en matière de programmes jeunesse. Ainsi, la création de cette nouvelle marque devrait permettre une plus grande clarté pour l’offre jeunesse de France Télévisions grâce à une uniformisation des cases jeunesse déjà proposées sur France 3 et France 5 ("Ludo" était propre à la première, "Zouzous" à la seconde), cases qui seront plus nombreuses après l’arrêt de France 4 afin de garantir le soutien du service public aux professionnels de l’animation, qui comptent beaucoup sur cette visibilité qui leur est apportée. Outre la case jeunesse chaque matin entre 6 et 9h sur France 3 et France 5, la cinq inaugurera à la rentrée une nouvelle case chaque jour entre 15h et 17h30 et retrouvera sa case jeunesse le midi. Les deux chaînes proposeront, de cette manière, «au moins 3 750 heures d’animation dès l’année prochaine à toutes les heures où les enfants sont présents devant l’écran de télévision» d’après les mots de Takis Candilis, directeur des programmes de France Télévisions, soit 1000h de plus que le volume horaire annoncé. Toutefois, certains producteurs de dessins-animés soulignent que cela représente pratiquement moitié moins que ce qui était proposé sur France 4 en 2018, qui tournait autour de 6000h de séries d’animation. D’autres producteurs craignent, eux, que caler quelques dessins-animés entre C dans l’air, Le magazine de la santé, divers documentaires ou programmes régionaux vienne à encourager les parents à continuer de laisser leurs enfants devant une chaîne entièrement dédiée à eux, en clair la chaîne concurrente Gulli, qui sera la seule en la matière après la disparition de France 4.


Outre une offre jeunesse renforcée sur ses antennes, France Télévisions mise surtout sur le développement de sa nouvelle marque sur le numérique. «Partout en Europe, les jeunes passent plus de temps devant leur ordinateur ou leur smartphone que devant leur poste de télévision. Cette réforme vise à s’adapter à une tendance qui ne cesse de s’amplifier.» tentait de se justifier Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, au journal Le Parisien en juin 2018. En tête probablement, la tentative réalisée par le groupe publique britannique BBC, qui a basculé sa chaîne jeunesse BBC Three en ligne en 2016. A l’époque, le groupe devait également réaliser des économies et justifiait notamment cette décision, comme France Télévisions, par une volonté d’être davantage en phase avec son jeune public. Contrairement à cette situation au Royaume-Uni où la chaîne continue simplement d’être retransmise en ligne entre 19h et 4h du matin, l’idée est, ici, de proposer une véritable plateforme en ligne avec du contenu visionnable à n’importe quelle heure de la journée selon les envies du spectateur ou de la spectatrice. Néanmoins, la situation relativement similaire entre les deux groupes publics a, sans nul doute, dû inspirer France Télévisions quant à la manière de faire évoluer son offre jeunesse après l’arrêt de France 4. Il est d’ailleurs intéressant de constater que quatre ans après avoir basculé BBC Three en ligne, la BBC réfléchit à ramener BBC Three à la télévision, preuve que cette stratégie n'a pas dû être la bonne pour ramener un public jeune, ou au moins conserver celui que la BBC avait. Si la BBC vient effectivement à faire machine arrière, elle a, en tout cas, déjà aiguisé ses arguments pour justifier de la prétendue réussite de son opération : le groupe britannique a, en effet, récemment expliqué que ce sont les succès récents de BBC Three, comme Fleabag, qui l’amène à reconsidérer son offre. Si BBC Three a gagné en visibilité grâce à son bref passage en ligne, cela sera effectivement au moins cela de gagné pour la BBC.



Et si la crise sanitaire sauvait finalement France 4 ?


Peut-être que France 4 connaîtra un destin à la BBC Three, ou bien peut-être qu’après maintes et maintes discussions, la chaîne parviendra finalement, et contre toute-attente, à sauver sa peau. En effet, depuis l’annonce de la réforme de l’audiovisuel public en 2018, la crise sanitaire est passée par là. Conséquence : alors que la date du 9 août avait été avancé pour l’arrêt de France 4 et France Ô, le projet de loi, qui devait être adopté par l’assemblée nationale courant mars, n’a pas pu l’être, du fait de la priorité accordée à la gestion de la pandémie de coronavirus. Il a fallu attendre une semaine avant la date arrêtée pour la suppression des deux chaînes avant d'avoir des nouvelles du ministère de la culture à ce sujet.


Et pour compte, le sujet est quelque peu délicat : le gouvernement et les parlementaires n’ont pas envie de passer pour des personnes ingrates ou qui manquent de cohérence en confirmant l’arrêt d’une chaîne de télévision publique qui ne s’est jamais rendue autant utile que durant le confinement. Il faut dire que le service public s’est montré particulièrement réactif à la suite de la fermeture temporaire de l’ensemble des établissements scolaires en réaction à l’aggravation de la situation sanitaire du pays à la mi-mars. Dès la mise en place du confinement, durant toute sa durée, et même bien au-delà de la réouverture des écoles, France 4 a bouleversé sa programmation habituelle afin de pouvoir proposer à l’antenne, tout au long de la journée, des cours pour différents niveaux scolaires estampillés «Lumni», du nom de sa plateforme éducative en ligne. Si cette programmation exceptionnelle n’a pas été vecteur d’un fort bond d’audience durant le confinement (ce qui est cohérent étant donné que cela s’adressait à un public extrêmement ciblé), là n’est pas l’essentiel pour bon nombre de personnes : ce qui compte, c’est plutôt que France 4 a pleinement rempli sa mission de service public en cette période inédite en permettant aux élèves de continuer d’apprendre et de réviser en complétant les cours à distance proposés par l’éducation nationale.


Depuis, la situation est devenue assez ubuesque. Face au silence radio de l’exécutif depuis le début de la crise sanitaire au sujet du sort réservé à France 4 et France Ô, France Télévisions a fini par élaborer une grille de rentrée pour France 4, au cas où celle-ci viendrait à obtenir un sursis, ou bien à ne plus être condamné. D’après Delphine Ernotte, lors d’un entretien courant juillet devant les membres du CSA en vue de sa réélection à la tête de France Télévisions, ce plan B pour la quatorze a été demandé par l’ancien ministre de la culture lui-même à la mi-avril, face à la mobilisation de parlementaires, de téléspectateurs et d’associations de producteurs en faveur de l’abandon du projet de fermeture de la chaîne. «Une offre dédiée à l’éducation et à la jeunesse» était la ligne directrice qui avait été confié à Delphine Ernotte. En somme, plus qu’une énième relance ou une relance de la dernière chance, il semble s’agir de proposer une France 4 renforcée par une pérennisation de l’offre éducative proposée lors de la crise sanitaire. Bien entendu, le tout en gardant à l’esprit que le plan d’économies pour France Télévisions est toujours valable, si bien que si France 4 n’avait plus vocation à disparaître, son coût de grille aurait intérêt à être à moindre frais (il est actuellement de 40 millions d’euros par an, soit environ 4 fois moins élevé que pour France 5, une vingtaine de fois moins élevé que pour France 2 ou France 3, et 2 à 3 fois moins élevé que pour C8 et TMC, en tête des audiences de la TNT).


Concrètement, les grandes lignes de cette grille de rentrée ont déjà été dévoilé. Premier grand changement : fini les cours «Lumni» en journée ; à la place, des révisions dans diverses matières et une sensibilisation aux questions de la citoyenneté et du développement durable chaque soir en access prime-time entre 18h15 et 20h dans le cadre d’un magazine intitulé Club Lumni. Les dessins-animés retrouveraient donc toute leur place en journée. Enfin, second grand changement : des prime-times thématisées avec Lumni histoire/géo le dimanche (dédié à des séries documentaires historiques), Lumni culture le lundi (consacré à des fictions familiales, à des portraits de personnes inspirantes ou des pièces de théâtre), Lumni sciences et technologies le mercredi (proposant des rediffusions des séries documentaires Les pouvoirs extraordinaires du corps humain ou du Monde de Jamy) et Lumni environnement et biodiversité le jeudi (avec des rediffusions des séries documentaires Planète bleue ou Le plus beau pays du monde). Pour les autres soirs, films familiaux, rediffusions de Fort Boyard ou de spectacles humoristiques au programme.




Finalement, moins d’une semaine avant la date supposée d’arrêt de France 4, le ministère de la culture a tranché : France 4 obtient un sursis d’un an, officiellement afin de laisser le temps à «la montée en puissance de Okoo et Lumni», toutes deux fraîchement lancées en ligne, et permettre «une redéfinition fine des futures grilles, notamment de France 5» à en croire le communiqué du ministère. Pourtant, début juillet, cette justification ne semblait pas aller de soi pour la fraichement nommée ministre de la culture, Roselyne Bachelot, qui déclarait alors lors d’une interview pour France Inter «Est-ce que les missions qui ont été assurées par France 4 peuvent être assurées d’une autre façon ? Je n’en suis pas sûre. Est-ce que ça implique une prolongation d’un an ou est-ce que ça implique de revenir sur l’arrêt de France 4 ? […] Je vous la [une réponse précise] donnerais dans les prochains jours.» Preuve que si cela reste loin d’être gagné, tout n’est peut-être pas encore joué pour France 4.

Sources:

- Benoît Daragon et François Rousseaux, Le Parisien, France Télévisions : big bang en prévision avant les fermetures de France 4 et France Ô, 16 janvier 2020.

Article accessible en ligne : https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/france-televisions-big-bang-en-prevision-avant-les-fermetures-de-france-4-et-france-o-16-01-2020-8237676.php

- Christophe Gazzano, Puremédias, Arrêt de France 4 et France Ô : Roselyne Bachelot promet une décision «dans quelques jours», 9 juillet 2020.

Article accessible en ligne : https://www.ozap.com/actu/arret-de-france-4-et-france-o-roselyne-bachelot-promet-une-decision-dans-quelques-jours/594949

- Jake Kanter, Deadline, BBC confirms it is considering restoring BBC Three to television, 19 mai 2020.

Article accessible en ligne : https://deadline.com/2020/05/bbc-considers-restoring-bbc-three-television-1202939194/

- Ministère de la culture, Décision sur l’avenir des chaînes de France Télévisions, 4 août 2020.

Communiqué de presse accessible en ligne : https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Decision-sur-l-avenir-des-chaines-de-France-Televisions

- Pascale Paoli-Lebailly, Télérama, France TV présente Okoo, sa nouvelle offre jeunesse gratuite et connectée, 9 décembre 2019.

Article accessible en ligne : https://www.telerama.fr/enfants/france-tv-presente-okoo,-sa-nouvelle-offre-jeunesse-gratuite-et-connectee,n6563539.php

- Wikipédia, France 4 [page consultée le 2 août 2020 ; dernière modification de la page le 1er août 2020].

Page accessible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/France_4

- Wikipédia, Gulli [page consultée le 2 août 2020 ; dernière modification de la page le 2 août 2020].

Page accessible en ligne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Gulli

- Michaël Zoltobroda, Le Parisien, Télévision : voici ce à quoi ressemblera France 4 à la rentrée, 25 juillet 2020.

Article accessible en ligne : https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/television-voici-ce-a-quoi-ressemblera-france-4-a-la-rentree-25-07-2020-8358738.php

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