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Delphine & Philippe #04: «Chernobyl»


Nous aurons beau essayer de justifier au mieux la pertinence de notre argumentation à l’aide d’arguments concrets et techniques, la critique d’une œuvre artistique, telle qu’une série, reste avant tout clairement subjective puisqu’elle est le fruit d’un ressenti, d’une confrontation avec une sensibilité, tant de celui ou celle qui rédige cette critique que de celui ou celle qui la lit. Ici, à travers les multiples échanges développés avec leurs entourages par deux personnages nommés Delphine et Philippe, assumons pleinement cette part de subjectivité et concentrons-nous sur l’objectif premier d’une critique : une personne essaie de donner envie (ou non) à une autre de découvrir quelque chose qu’il a regardé (ou écouté). Pour ce quatrième épisode, penchons-nous sur la mini-série «Chernobyl», diffusée en 2019 sur la chaîne américaine HBO et la chaîne anglaise Sky.




- Tu vois, comme quoi, on arrive quand même à profiter du beau temps et de l’air frais tout en ne sortant pas de chez nous ! fait remarquer Delphine, continuant de siroter paisiblement son verre de vin blanc qu’elle conserve bien en main depuis qu’il lui a été proposé.

- Et encore, imagine à quel point ce moment serait encore plus chouette si tu avais voulu de mon merveilleux cocktail… souligne Philippe, avant de boire une gorgée de son verre.

- Ne m’en veux pas mais ce n’est particulièrement pas le moment de tomber malade en ce moment…

- Tu as tort de penser ça ! Il est assez bon, les arômes se marient bien ensemble je trouve…

- Si tu le dis, on en reparlera dans quelques heures… Permets-moi de douter que tu puisses réellement obtenir quelque chose de buvable en mélangeant quelques fonds de vieilles bouteilles…


Confortablement installés sur le balcon de leur appartement suffisamment étroit pour leur laisser à peine l’espace de se poser en tête à tête dans des transats, le couple entend bien profiter autant que possible de cette fin de journée ensoleillée et assez douce pour un début de printemps.


- Quand le confinement sera levé, il faudra penser à aller remercier ce voisin en face ! C’est une chouette initiative qu’il a eu d’utiliser le matériel qu’il a chez lui pour faire profiter le voisinage d’une petite ambiance musicale… note Delphine.

- Carrément ! Ce n’est sans doute pas grand-chose pour lui mais il fallait y penser ! Nos apéros ne seraient sans doute pas aussi sympathiques sans cela… acquiesce Philippe.

- C’est clair ! Et puis, cela fait plaisir de voir toutes ces personnes sur leur balcon ou à leur fenêtre, de trinquer à distance avec eux, bref de tromper collectivement l’ennui lié au confinement…

- Je suis bien d’accord avec toi. On a de la chance d’avoir un chouette voisinage !

- Et aussi d’avoir un voisin qui a de bons goûts musicaux, parce que cela ne serait clairement pas la même ambiance sinon… ajoute Delphine, d’un air amusé.

- Ce n’est pas faux ! Sinon, on aurait pu jouer le rôle des vieux voisins chiants de service, on se serait plaint sans arrêt du vacarme, ça aurait pu être amusant…

- Remarque, cela aurait également pu bien nous occuper…

- En attendant, là, la musique me donne plutôt des envies de danse avec toi tu vois… lâche Philippe, décrochant un sourire à la fois charmeur et charmé.

- Ah oui ? Tu es bien sûr de toi ? Tu n’es pas trop rouillé pour ça ? le taquine t-elle.

- Mais pas du tout ! Pourquoi tu dis ça ? lui rétorque t-il, de façon exagérément outrée.

- Bah… tu promets de ne pas te vexer ?

- Comment ça ? Vas-y, accouche ! lui lance t-il, en riant légèrement.

- Non mais c’est juste que la dernière fois, disons que tu étais un peu… comment dire ?... rigide, voilà tout… explique t-elle, avant de finir le restant de son verre de vin.

- Tu es sérieuse ? Je danse très bien ! Bon, un peu mieux avec quelques grammes d’alcool dans le sang, mais je danse très bien ! assure t-il, parvenant difficilement à garder son air faussement sérieux.

- Mais oui, mais oui, si ça peut te faire plaisir…

- Bon, et si on allait regarder une série avant de diner ? demande Philippe, passant soudainement du coq à l’âne. Il y a plusieurs séries dont on dit depuis un moment que l’on va visionner sans que cela ne soit encore fait, et ce n’est pas le temps devant nous qui manque actuellement…

- Pourquoi tu changes subitement de sujet ? Tu es bougon ? demande Delphine, toujours autant amusée. Ça y est, je l’ai vexé, il est tout grognon maintenant…

- Absolument pas ! tente de nier son compagnon.

- C’est ça, c’est ça… Bref, tu pensais à quoi comme séries ?

- Et bien, je me suis souvenu que l’on n’a toujours pas vu «Chernobyl» par exemple…

- D’accord, donc tu as définitivement décidé de nous plomber le moral en fait, c’est ça ? Être confinés à cause d’une pandémie mondiale, ça ne te suffit pas ? demande la trentenaire, légèrement interloquée.

- Ok, je te l’accorde, il existe très certainement mieux à voir en ce moment pour se changer les idées. Mais tu me connais, j’aime bien les scénarios «catastrophe» à la limite de l’ambiance apocalyptique, enfin. Enfin, moins lorsque ces ambiances ressemblent moins à des scénarios qu’à la réalité… Mais tu te souviens aussi à quel point les critiques étaient dithyrambiques à l’égard de cette série au moment de sa sortie ?

- Oui, je me souviens bien… D’ailleurs, à l’époque, je craignais un peu que l’on nous survende la série à force… Rappelle-moi, la série parle de quoi déjà ?

- C’est très simple : il s’agit d’une mini-série historique qui retrace l’histoire de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 dans l’ancienne URSS.

- Ah oui, je m’en rappelle maintenant. Et la série est particulièrement saluée pour son réalisme, c’est ça ?

- Oui, c’est effectivement notamment pour cela. Je connais quelqu’un qui a vu la série et qui m’a rapporté à quel point elle peut se montrer bluffante par moments, que ce soit dans la fidélité de la reconstitution des décors ou bien pour certains éléments de récit mentionnés particulièrement précis et méconnus. Bien entendu, même s’il s’agit d’une mini-série historique, il faut garder en tête que l’on parle d’une série et non d’un documentaire. Ainsi, l’histoire est quelque peu romancée, les dialogues sont inventés, des personnages ont vu leurs traits ou certaines de leurs réactions légèrement modifiées, et l’un des personnages a même été inventé. Mais tout ceci est mentionné à la fin du dernier épisode, qui rappelle également les faits principaux de cette catastrophe pour celles et ceux qui penseraient que cette histoire est de la pure invention ou bien qu’elle a été exagéré.

- En clair, les passionnés d’histoire se tourneront probablement davantage vers un documentaire que cette série, mais celle-ci fait tout à fait l’affaire sinon ?

- Oui, voilà. Les quelques imprécisions concernent généralement des détails mineurs dont la réalité aurait trop complexifié l’intrigue et risqué d’ennuyer le spectateur qui, je le rappelle, regarde une série et non un documentaire. Mais en dehors de cela, tous s’accordent à dire que la série est particulièrement fidèle à la réalité. D’ailleurs, je pense que, malgré le format fictionnel retenu, l’intention du producteur était d’aller dans ce sens puisqu'en me renseignant au sujet de la série, j'avais lu que plusieurs scènes et dialogues étaient directement inspirés d’un recueil de témoignages publié en 1999 par l’écrivaine biélorusse Svetlana Alexievitch, qui a été nommé prix Nobel de littérature depuis.

- Mais même si j’ai bien compris que la série n’a pas vocation à se substituer à un documentaire sur le sujet, elle doit quand même aussi remplir une fonction didactique, non ?

- Je suis aussi de cet avis. J’ai l’impression que le fait que ce soit une série plutôt qu'un documentaire susciterait davantage de volontarisme chez les jeunes pour s’intéresser au sujet. Tu vois, je serais prof d’histoire, je pense que je leur passerais des extraits, soit pour introduire mon cours, soit pour être sûr de garder l’attention de mes élèves tout du long. Et je suis persuadé que même les moins jeunes d’entre nous seraient certainement intéressés et sortiraient enrichis de ce visionnage. Parce qu’en réalité, Tchernobyl résonne en beaucoup d’entre nous comme le nom d’une catastrophe liée à une centrale nucléaire ; mais qui serait capable parmi nous de dire plus exactement ce qui s’est passé et en quoi cette catastrophe est particulièrement dramatique ? Pas grand monde je pense…

- Effectivement…

- De ce que j’ai cru comprendre, ce qui est d’autant plus agréable dans cette série, c’est qu’elle raconte l’histoire de la catastrophe de Tchernobyl de bout en bout et de manière assez complète. Ce que je veux dire, c’est que le premier épisode de la série s’ouvre le soir de la catastrophe, puis nous permet, au fil des épisodes, de suivre la manière dont les autorités ont tenté d’éviter le pire scénario de se produire, jusqu’à chercher, dans les derniers épisodes, à sauver la face face à des femmes et des hommes désireux de tirer les leçons de cette catastrophe et d’assumer les conséquences. Ainsi, cela nous permet à la fois de constater le déni ou l’incompétence de l’ingénieur supervisant les tests à l’origine de la catastrophe, que de prendre conscience du courage des pompiers, des équipes de la centrale et des «petites mains» qui ont permis d’éviter une catastrophe bien pire, ou encore de se rappeler à quel point les dirigeants soviétiques étaient prêts à n’importe quelle manipulation et dissimulation pour se dédouaner d’avoir avalisé une centrale défectueuse et dans l’unique but de préserver le modèle soviétique, déjà en sursis à l’époque.

- Intéressant ! Mais cela paraît énorme de développer tout ceci en si peu d’épisodes ! Soit la série doit davantage verser dans la fiction et tous ces éléments doivent être traités assez brièvement ou légèrement, soit la série ne doit avoir comme points communs avec les séries que le nom et doit être aussi barbant que le sont souvent les documentaires… Ce n’est pas possible autrement !

- Et bien pourtant si. Je te l’accorde, ce doit être un subtil numéro d’équilibriste que de réussir à être réaliste et complet sur le sujet tout en parvenant en même temps à proposer quelque chose de rythmé, captivant et divertissant. Mais cela semble fonctionner. En fait, la connaissance dont je te parle depuis le début m’a expliqué que c’est là la force des scénaristes et du réalisateur que d’être parvenus à construire le récit de manière à donner complètement l’impression au spectateur de regarder une fiction comme une autre, tout en la ponctuant de références historiques rappelant au spectateur que l’histoire racontée n’est pas le fruit d’une ou de plusieurs imaginations.

- Ok, ne m’en dis pas plus sinon je vais réellement finir par trouver que cette série m'a été survendu et je risquerais, du coup, de rester sur ma faim après l’avoir visionné… l’arrête Delphine, tout en se levant de son transat.

- Dans ce cas, je n’en dirais pas plus ! De toute manière, je n’en sais pas beaucoup plus étant donné que je n’ai pu regarder qu’une partie du premier épisode pour l’instant, ce qui fait que je vais découvrir la série en même temps que toi. Mais si ce que j’ai lu et entendu dessus se révèle juste, je suis persuadé que tu ne seras pas déçue ! Va pour ça donc ?

- Bien sûr ! Pourquoi crois-tu que je me suis levée ?

- Pour te resservir un verre ? suggère Philippe.


Delphine revient alors sur ses pas et récupère le verre vide qu’elle avait laissé au pied de son transat.


- Ah mais l’un n’empêche pas l’autre ! lui fait remarquer Delphine, avant de retourner à l’intérieur de l’appartement.


Là-dessus, Philippe la suit et va récupérer son ordinateur, pendant que Delphine est partie se resservir un verre. L’apéritif n’est pas prêt de se terminer de sitôt.

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