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Delphine & Philippe #03: «Mytho»


Nous aurons beau essayer de justifier au mieux la pertinence de notre argumentation à l’aide d’arguments concrets et techniques, la critique d’une œuvre artistique, telle qu’une série, reste avant tout clairement subjective puisqu’elle est le fruit d’un ressenti, d’une confrontation avec une sensibilité, tant de celui ou celle qui rédige cette critique que de celui ou celle qui la lit. Ici, à travers les multiples échanges développés avec leurs entourages par deux personnages nommés Delphine et Philippe, assumons pleinement cette part de subjectivité et concentrons-nous sur l’objectif premier d’une critique : une personne essaie de donner envie (ou non) à une autre de découvrir quelque chose qu’il a regardé (ou écouté). Pour ce troisième épisode, penchons-nous sur la série «Mytho», diffusée depuis 2019 sur Arte.




- C’était une chouette soirée je trouve ! Je suis content qu'on les ait invités ! lance Philippe, tout en débarrassant la table du salon, pleine de vaisselle sale et de bouteilles vides ou à moitié vidées.

- C’est clair ! Ça faisait bien trop longtemps que je ne les avais pas vu en plus ! Ça m’a fait du bien de ne pas passer ma soirée à corriger des copies ou plongée dans la préparation de mes cours pour une fois… lui répond Delphine, à l’évier, commençant la vaisselle.

- Je te l’avais dit ! Ils étaient sacrément en forme en tout cas, je ne sais pas ce qu’ils avaient… ajoute le trentenaire, tout en déposant en même temps le reste de vaisselle sale sur le plan de travail juste à côté de l’évier.

- Oh, à tous les coups, cela est dû au plan complètement foireux de Baptiste qui doit bien les occuper ces derniers jours…

- C’est possible. D’ailleurs, je ne me remets toujours pas de cette histoire… Quelle idée de faire croire à sa famille qu’il est en couple tout ça pour qu’elle ne lui mette plus autant la pression à ce niveau-là…

- Je te rappelle qu’il était bien pompette au moment où il leur a sorti ça. Les personnes ont rarement de bonnes idées quand elles sont ivres je te rappelle. Et puis tu connais Baptiste, maladroit comme il est, il n’a pas toujours des idées formidables…

- Oui, je sais bien, mais quand même, de là à inventer une histoire pareille…

- N’oublie pas non plus qu’il s’agissait d’un repas de famille. Sa famille a sans doute dû encore lourdement insister comme il nous l’a déjà rapporté, et tu sais comme le voir en couple et avoir une vie bien rangée est important pour une famille croyante et conservatrice comme la sienne…

- Justement ! Connaissant sa famille bien mieux que nous, à quel moment s’est-il dit que ce serait une bonne idée de leur annoncer qu’il sort avec Matthias ?

- C’est une bonne question… Peut-être qu’il a spontanément pensé à lui parmi tous ses amis pour trouver celui ou celle susceptible d’accepter de jouer la comédie…

- Peut-être… En tout cas, s’il espérait être enfin tranquille avec sa famille à ce niveau, c’est raté…

- C’est clair…

- Et s’il ne profitait pas maladroitement de cette situation pour faire passer un message ?

- Comment ça ? Pour signaler qu’il est gay ? Je sais que cela fait déjà un moment que tu interprètes certaines de ses réactions comme des signes qu’il refoule sa sexualité mais quand même, je le vois mal imaginer un stratagème pareil pour ça.

- Hum, tu as certainement raison…

- En tout cas, même s’il leur avait parlé d’une fille, je doute que sa famille se serait contentée d’un simple prénom pour le laisser tranquille…

- Je suis bien d’accord !


Une fois la table du salon débarrassée et nettoyée, Philippe rejoint Delphine en cuisine, se saisit du torchon qui traîne sur le plan de travail, et essuie la vaisselle lavée par sa femme, pendant que celle-ci s’occupe des dernières assiettes et verres qui restent à nettoyer.


- Tu sais à quoi cette situation me fait penser ? lui demande Philippe.

- Non, dit-moi, lui répond Delphine.

- A une série que tu apprécierais certainement autant que moi…

- Ah oui ? Laquelle ?

- A «Mytho», une série diffusée sur Arte depuis l’année dernière. Le personnage principal, qui est une femme mère de trois enfants, invente également un énorme mensonge pour essayer de se sortir d’une situation dont elle a marre et dont elle aimerait bien sortir.

- Et c’est quoi ce mensonge énorme ?

- En fait, elle est lassée de ne pas pouvoir être réellement quelqu’un, d’être constamment transparente ou au service de quelqu’un. C'est le cas à son travail, où elle exerce un métier qui ne l’intéresse pas vraiment et au service d'un patron odieux. Et c'est aussi le cas chez elle, où elle retrouve un mari qui ressemble davantage à un quatrième enfant plutôt qu’à un réel soutien, ainsi que des enfants qui se préoccupent bien plus de leurs propres mésaventures et problématiques de leurs âges plutôt que de leur mère, qui est du coup reléguée au statut de simple ménagère uniquement nécessaire pour faire à manger et avoir de quoi se vêtir. C’est pour ça qu’un jour, alors qu’elle a des inquiétudes vis-à-vis d’une douleur qu’elle a au niveau du sein, Elvira, la mère de famille, va faire un examen médical pour se rassurer et en revient en disant qu’elle a un cancer, alors que la médecin lui a certifié qu’elle n’a rien. On sent que sa réaction est tout à fait spontanée et non préméditée, que c’est en prenant conscience que cette douleur n'est qu’une réaction due à son stress aigu et que pas un membre de sa famille ne se soucie de savoir comment s’est passé son examen qu’elle y voit une occasion pour elle de voir enfin son entourage se soucier de nouveau d’elle…

- C’est triste comme situation, tout comme de devoir en arriver à un tel extrême. En revanche, je trouve ça génial comme pitch de départ, à la fois original et qui donne très envie de connaître la suite de l’histoire…

- Je suis totalement d’accord avec toi ! En plus, cette série est avant tout une comédie, si bien qu’au-delà de l’intrigue originelle, qui est déjà assez drôle, les situations ont souvent un potentiel comique assez fort, ce qui fait que la série est d’autant plus plaisante à suivre. En fait, les personnages ne se veulent pas drôles mais arrivent à l’être de par les situations dans lesquelles ils se mettent, par exemple quand on voit Elvira s’enfoncer dans son mensonge, ou bien les mensonges éhontés qu’échangent Elvira et son mari Patrick concernant ce qu’ils font quand l’autre n’est pas là, et c’est ce qui fait que cette série est particulièrement réussie.

- Je vois… Tu me la vends bien en tout cas !

- Pour être honnête, la seconde partie de la saison semble se vouloir davantage dramatique que comique, ce qui est compréhensible étant donné que ce mensonge n’est pas sans conséquences et que celles-ci ne peuvent être très réjouissantes, mais je la trouve un peu moins percutante…

- Je ne sais pas ce qu’il en est, mais j’imagine que c’est difficile de garder la même intensité épisode après épisode, de garder le téléspectateur en haleine tout au long d’une saison, d’autant plus si la première partie davantage comique de la saison est aussi réussie que tu me le décris…

- Oui, j’imagine aussi…

- Et sinon, le jeu d’acteur est comment ? Crédible ? Ou bien il force le trait comique de la série ?

- Honnêtement, pour ce qui est de la famille, je n’ai rien à redire, elle est plus que crédible dans son rôle. Et tout particulièrement Marina Hands, qui interprète Elvira la mère de famille, qui joue remarquablement bien son rôle.

- Ah oui ? Si bien que ça ?

- Je t’assure que oui. On ressent très clairement celle qu’elle incarne en la voyant dans la série, c’est-à-dire cette femme soumise, au bord de la crise de nerfs, qui essaie de se ressaisir mais qui ne sait pas trop comment s’y prendre et qui tâtonne donc un peu à vue.

- D’accord ! J’ai hâte de découvrir cette série alors ! On se la garde pour notre prochaine soirée canapé ?

- Oh, j’aurais plutôt attendu que sa saison 2 sorte d’ici quelques mois pour la revoir, il y a d’autres séries que j’aimerais absolument découvrir avant cela ! Après, si tu es pressée de la voir, pourquoi pas…

- Bon, et bien, on avisera la prochaine fois dans ce cas, ça te va ?

- Ça me va !


La vaisselle nettoyée, essuyée et rangée, Philippe jette un coup d’œil à la vieille pendule posée dans un coin du plan de travail qui sépare la cuisine du salon. Il est bientôt une heure du matin. Il n’a clairement pas vu la soirée passer. Pendant qu’il va fermer les volets des deux pièces, Delphine rince l’évier puis s’essuie les mains.


- Dit-moi, j’ai une question… lui lance Delphine.

- Je t’écoute ! lui répond Philippe.

- Tu pourrais être capable de me sortir un aussi gros mensonge qu’Elvira à ses proches ? lui demande t-elle.

- Je ne pense pas… Dans notre couple, contrairement au sien, nous essayons toujours au maximum de dialoguer et de nous dire les choses quand il y a un problème ou que quelque chose nous pèse, donc je nous imagine mal inventer un truc pareil pour essayer de régler un éventuel problème entre nous… lui explique t-il, du tac au tac.

- D’accord…

- Tu n’es pas de mon avis ?

- Si si, je suis tout à fait d’accord avec toi.

- Bon, ce n’est pas tout ça mais il se fait déjà tard, je vais aller me changer. Tu me rejoins après ?

- Je te suis !


Là-dessus, le couple vérifie qu’il n’a rien oublié avant d’éteindre toutes les lumières de la pièce, puis de s’éclipser rapidement dans leur chambre.


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