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Delphine & Philippe #02: «Les bracelets rouges»


Nous aurons beau essayer de justifier au mieux la pertinence de notre argumentation à l’aide d’arguments concrets et techniques, la critique d’une œuvre artistique, telle qu’une série, reste avant tout clairement subjective puisqu’elle est le fruit d’un ressenti, d’une confrontation avec une sensibilité, tant de celui ou celle qui rédige cette critique que de celui ou celle qui la lit. Ici, à travers les multiples échanges développés avec leurs entourages par deux personnages nommés Delphine et Philippe, assumons pleinement cette part de subjectivité et concentrons-nous sur l’objectif premier d’une critique : une personne essaie de donner envie (ou non) à une autre de découvrir quelque chose qu’il a regardé (ou écouté). Pour ce deuxième épisode, penchons-nous sur la série «Les bracelets rouges», diffusée depuis 2018 sur TF1.




Philippe jette un coup d’œil à sa droite à travers la grande fenêtre à laquelle est accolée son bureau. Il lui arrive très souvent d’être distrait par le spectacle qui se joue à l’extérieur. Pourtant, mise à part les va-et-vient classiques de voitures comme dans toute rue, qui plus est ici assez peu fréquentée, il y a rarement de quoi fouetter un chat. Il n’empêche qu’il ne peut s’en empêcher. Ce jour-là, le spectacle est assez déprimant. Il pleut averse sans discontinuer depuis qu’il est arrivé à la rédaction tôt ce matin. Quand il est chez lui, il adore se faufiler sous un plaid bien chaud pour pouvoir écouter confortablement le bruit des gouttes de pluie qui s’abattent sous l’effet du vent contre les vitres de la pièce. Là, elles attirent davantage son attention à l’extérieur que sur ce qui se passe sur l’écran de son ordinateur. De toute manière, il est distrait pour un rien. Ou alors, il est surtout assez peu concentré actuellement. Philippe, bien décidé à replonger pleinement dans la rédaction de son article en cours, s’étire de tout son long sur son fauteuil de bureau. C’est sans compter sur son collègue et ami Etienne, qui tombe à pic.


- Dit Philippe, je vais fumer une cigarette devant le bâtiment, tu m’accompagnes ? lui propose Etienne.

- C’est gentil mais j’ai du mal à me lancer dans ce nouvel article, il faudrait que je m’y mette ! décline gentiment Philippe.

- Justement, prends cinq minutes pour m’accompagner ! Ça te fera du bien de prendre un peu l’air ! Tu es là depuis tôt ce matin en plus ! Le journal de demain est bouclé, tu peux bien t’accorder cinq minutes pour souffler ! insiste son collègue.


Philippe hésite un court instant, puis finit par se raviser.


- D’accord… Laisse-moi aller chercher un café et je te rejoins ! concède Philippe.

- Super ! Ça marche ! lui répond Etienne, le sourire aux lèvres.


Une fois passé à la machine à café, Philippe rejoint son ami devant le bâtiment, dans le léger renfoncement de l’entrée de celui-ci, leur permettant ainsi d’être à l’abri de l’averse.


- Tu ne m’avais pas dit que tu allais arrêter pour de bon cette fois ? lui lance Philippe en retrouvant Etienne.

- Oh, tu sais, les bonnes résolutions de début d’année, on sait ce qu’elles valent… lui répond son collègue, amusé.

- Mais je me souviens que tu croyais sincèrement que cette fois-ci serait la bonne pourtant… ?

- Et oui… Je me sentais motivé après la bonne surprise qu’a été le mois sans tabac pour moi, mais j’ai dû sous-estimer l’ampleur de la tâche à accomplir… Résultat : arrivé début janvier, j’ai été le premier surpris et déçu de me voir craquer aussi vite…

- Peut-être que tu ne t’y étais pas suffisamment bien préparé mentalement comme tu t’imaginais déjà en venir à bout…

- Je ne sais pas trop, peut-être… Quoi qu’il en soit, je ne désespère pas d’y arriver un jour ! Mais en attendant, j’ai repris oui, malheureusement… Bref, trêve de parler de moi ! Comment tu vas aujourd’hui ?

- Ecoute, un peu fatigué mais ça va ! Je suis allé rendre visite à la cousine de Delphine à l’hôpital hier soir…

- Alors ? Comment va-t-elle ?

- Elle a l’air d’aller mieux… L’opération s’est bien passée en tout cas…

- C’est déjà ça !

- Oui ! Pour l’heure, elle récupère de son opération… Pour une fois, j’aimerais pouvoir me montrer optimiste mais je ne préfère pas trop m’avancer… La santé est quelque chose de si fragile, d’autant plus à son âge…

- Tu as raison ! En tout cas, elle est courageuse cette petite ! Je me souviens que, plus jeune, lors des rares séjours que j’ai eu à faire à l’hôpital, j’étais toujours terriblement stressé parce que je me disais que ça ne pouvait être que très grave si j’allais à l’hôpital et non au médecin comme à l’accoutumée…

- Je te comprends parfaitement ! Je ne sais pas ce qui se passe actuellement dans la tête de la cousine de Delphine étant donné qu’elle laisse assez peu transparaître ce qu’elle ressent, mais toujours est-il qu’elle avait l’air plus sereine qu’avant l’opération. Et puis, dans cette épreuve, elle est quand même, d’une certaine manière, chanceuse puisqu’elle a l’air d’être choyé par l’équipe médicale, sans compter qu’elle a eu l’occasion d’échanger avec d’autres jeunes du service, ce qui doit sans conteste jouer sur son moral…

- Tant mieux ! C’est clair qu’il est essentiel de se sentir soutenu lorsque l’on traverse des passes difficiles comme elle actuellement. Tiens, je ne sais pas pourquoi je pense subitement à ça mais toi qui raffoles de séries, tout ceci me fait drôlement penser à la série «Les bracelets rouges», qui est diffusée depuis 2018 sur TF1, tu connais ?

- Vaguement… Pourquoi tu penses à ça ? Qu’est-ce qu’elle raconte ?

- Et bien, pour faire court, l’action se déroule au sein d’un hôpital. A l’origine, on assiste à la rencontre entre deux jeunes hommes qui se retrouvent dans la même chambre, l’un, Clément, déjà là depuis plusieurs mois pour se faire soigner d’un cancer et déjà amputé d’une jambe, et l’autre, Thomas, également malade, et sur le point aussi de se faire amputer. Etant du même sexe, du même âge et dans la même situation, ils sympathisent forcément rapidement et se serrent les coudes. C’est au détour d’un couloir ou d’une réunion que les deux jeunes hommes font de fil en aiguille de nouvelles rencontres, que ce soit avec des personnes qu’ils n’avaient encore jamais croisé dans le service auparavant ou bien nouvellement entrantes. C’est le cas de Roxane, atteinte d’anorexie, Medhi, hospitalisé pour une fracture de la jambe, Sarah, victime d’un malaise cardiaque, ou encore Côme, un enfant plongé dans le coma depuis de nombreux mois. A partir de là, on suit l’évolution de ces amitiés naissantes, qui se forgent au fil des hauts et des bas qu’ils connaissent, passant souvent d’un extrême à l’autre au vue de leurs santés fragiles et aussi simplement du fait qu’ils restent pour la grande majorité des adolescents en devenir.

- Je vois… Et qu’est-ce qui fait que cette série se démarque des autres ? Parce que, de ce que tu me racontes là, on dirait que deux bonnes vieilles recettes ont été prises, c’est-à-dire les séries médicales et les teen series, puis mélangées ensemble pour en faire une série à succès…

- C’est vrai que cette série s’appuie sur ces deux filons pour attirer, dès le départ, un certain public, mais elle ne se repose pas entièrement dessus, au contraire, elle parvient à dépasser ces inspirations pour créer un mélange plus riche et plus subtil, ce qui fait d’ailleurs probablement la force de la série…

- C’est-à-dire ?

- C’est très simple, tu vas vite comprendre où je veux en venir, tu vas voir. En fait, d’un côté, la série n’est pas une simple série médicale puisque dans chaque épisode, contrairement à la trame narrative d’un grand nombre de séries médicales, il n’y a pas son lot de patients à soigner, patients souvent hospitalisés le temps de l’épisode, durant lequel un certain nombre de spéculations sont développées autour de l’origine de leur maladie, qui voient également parfois l’hôpital comme le lieu de révélation et de résolution d’histoires personnelles, puis qui finissent par sortir à la fin de l’épisode, guéris. Non, ici, on ne fait pas croire que l’on peut guérir de n’importe quelle maladie, encore moins aussi rapidement. Ici, les médecins ne sont aucunement présentés comme des héros capables de tous les miracles ; ce sont les patients, leurs doutes, leurs angoisses, leur courage, leurs espoirs, leurs déceptions qui sont mises en avant. En fin de compte, même s’il est toujours présent, telle une clé de voute au-dessus de chaque personne qui peut s’abattre sur eux à tout moment et auquel on revient donc irrémédiablement, l’aspect médical passe pratiquement au second plan, puisque la série montre avant tout comment des adolescents, même s’ils sont malades et que le cadre de l’hôpital s’y prête difficilement, restent des adolescents et cherchent ainsi à vivre tant bien que mal en tant que tel.

- D’accord… Voilà qui paraît tout de suite plus intéressant, en effet… Et pour ce qui est de l’aspect teen series ?

- Et pour ce qui est de l’aspect teen series, je trouve que cette série ne tombe pas dans la facilité. Outre le ressort prévisible des histoires d’amour, entre celles au parcours chaotique semé d’embûches et celles développées par des protagonistes qui se tournent longuement autour, la série met aussi particulièrement en avant les relations riches et différentes que peuvent entretenir les personnages principaux avec leurs parents, dont les états d’âme sont aussi montrés, eux qui traversent également, dans une moindre mesure en tant que parent, l’épreuve à laquelle est confrontée leur enfant.

- Je vois… Tout ce que tu m’expliques là me rassure un peu, mais je pense que seules quelques images pourront me convaincre clairement de l’intérêt de cette série car pour l’instant, je t’avoue que je reste quelque peu sur la réserve…

- Tu as tort, cette série est formidable ! Je t’assure ! En plus, il faut savoir que cette série est inspirée d’une histoire vraie…

- Ah bon ? Comment ça ?

- En fait, cette série est l’adaptation d’une série espagnole, tirée d’un livre autobiographique d’Albert Espinosa. Dedans, il raconte comment il a dû passer son adolescence à l’hôpital étant donné qu’entre ses 14 ans et ses 24 ans, il a dû être traité trois fois pour un cancer. Comme tu l’imagines, grandir à cet âge dans un hôpital n’a rien d’évident ni de simple et cela a nécessairement eu des conséquences lourdes sur d’autres plans que celui de la santé. Il détaille notamment dans son autobiographie comment il est parvenu, au cours de ses nombreuses et longues années d’hospitalisation, à se lier à d’autres jeunes malades comme lui, comment ils en sont venus à créer entre eux le groupe des «bracelets rouges», en référence à celui que chacun obtient lors d’une opération…

- … d’où le nom de la série !

- C’est ça ! Il explique aussi comment il a vécu le fait de voir ses amis se faire soigner tandis que d’autres succomber de leurs maladies…

- Waouh… Ca donne clairement envie de relativiser sur sa propre existence quand on pense à tous les états par lesquels il a dû passer si jeune…

- Je ne te le fais pas dire ! Et on ne regarde pas non plus cette série de la même manière quand on sait ce qui l’a inspiré…

- J’imagine… J’essayerais de la regarder, au moins le début, par curiosité. Mais avec une série dont les ressorts sont principalement ceux des séries médicales et des teens series, cela ne tombe pas trop dans les bons sentiments ?

- Non, juste ce qu’il faut. Je trouve que cette série fait l’objet d’un savant mélange de douceur et de pudeur, ce qui fait qu’elle bascule assez bien entre des moments légers, drôles et d’autres plus tristes et dramatiques, le tout sans jamais tomber dans l’anxiogène, ni le larmoyant, le caricatural ou le malaise. Mais peu importe, je suis persuadé que dès que tu vas commencer à regarder cette série, tu vas tomber sous le charme des personnages principaux, tous plus attachants les uns que les autres…

- Si tu le dis ! C’est ce que nous verrons !


Etienne tire une dernière taffe de sa cigarette puis l’écrase dans le cendrier mis à disposition à l’entrée du bâtiment.


- Bon, ce n’est pas tout ça, mais il nous reste encore du pain sur la planche ! On y retourne ? lance ensuite Etienne à Philippe.

- Allons-y ! Il fera bien plus chaud à l’intérieur en plus ! approuve ce dernier.


Philippe se rend alors compte qu’à force de monopoliser la parole, il a à peine touché à son café, qui a l’air davantage tiède que chaud à présent. Tant pis, il le finira tout de même une fois de nouveau à son bureau.

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