top of page

«Mask singer»: le pari risqué de TF1 récompensé, mais au succès à relativiser


«Le phénomène mondial arrive en France ! Un show hors norme ! Quelle star se cache sous le masque ?» teasait TF1 avec une première bande-annonce diffusée en juin dernier lors de la mi-temps du quart de finale de la coupe du monde féminine de football France-USA. Cette courte bande-annonce était illustrée par une personne déguisée en paon qui s’apprête à chanter. Difficile alors de savoir à quoi s’attendre avec le nouveau divertissement de TF1. A présent, la moitié des émissions ont été diffusé depuis début novembre et la moitié du casting a été dévoilé, ce qui nous permet de tirer quelques enseignements à propos de ce pari risqué entrepris par la une.




Un concept plutôt simple mais assez rafraichissant et divertissant


Comme l’a souligné la bande-annonce proposée par TF1, le concept du programme est résumable en une phrase : quelle star se cache sous le masque ? En effet, adapté du format sud-coréen intitulé «King of mask singer» et crée en 2015, «Masked singer» (simplifié en «Mask singer» en France, ce qui ne veut plus rien dire du coup soit dit en passant) propose à des célébrités de se cacher sous un déguisement et de chanter devant un jury, qui doit deviner l’identité de la personne qui se cache derrière. Bien entendu, avant chaque prestation, une vidéo contenant un certain nombre d’indices sur l’identité de la personnalité masquée est diffusée pour aider chacun et chacune à mener sa propre enquête. A chaque émission, à l’issue d’une série de duels, le jury et le public qui assiste à l’émission choisissent leur personnage préféré, celui qui récolte le moins de voix étant éliminé et devant par conséquent se démasquer. Aucune récompense n’est prévue pour celui ou celle qui remportera la compétition, la seule motivation des candidats ne pouvant venir que des raisons personnelles qui les ont poussées à accepter de participer au programme (par exemple, l’un d’entre eux disait vouloir s’essayait à un registre dans lequel le public n’a pas l’habitude de le voir, tandis qu’un autre expliquait avoir voulu faire cela pour amuser son enfant, pendant qu’encore un autre avançait simplement son intérêt pour le chant, bien qu’il n’en ait pas fait son métier).


Présenté comme cela, nous entendons déjà les détracteurs nous répondre «mouais, ça n’a rien de révolutionnaire… Vous ne vous êtes jamais déguisés pour faire une surprise à quelqu’un ?» Effectivement, le concept est plutôt simple, mais il tire son intérêt de multiples raisons. Déjà, il faut bien reconnaître que c’est assez drôle tant c’est inattendu d’allumer la télé un soir sur la première chaîne française et de tomber en prime sur une licorne, un cupcake, un paon, un monstre et un dinosaure, pour ne citer qu’eux, vêtus de manière extravagante et en train de s’affronter en chansons. Etant donné que cela fait plusieurs saisons que TF1 se repose sur ses lauriers en matière de divertissements en usant ses trois marques phares «The Voice», «Koh Lanta» et «Danse avec les stars», le téléspectateur ne peut que s’enthousiasmer de voir que la chaîne cherche enfin à apporter un coup de fraicheur à ses divertissements en ce moment. De plus, ce programme mérite clairement le qualificatif de divertissement puisque rapidement, le téléspectateur, curieux, se prend au jeu de l’enquête, cherchant à faire le rapprochement entre la voix qu’il entend chanter ou les indices donnés dans les vidéos et une personnalité qu’il connaîtrait. Enfin, entre l’animateur du programme Camille Combal, toujours fidèle à lui-même, et le jury (composé des humoristes Kev Adams et Jarry, de l’animatrice télé Alessandra Sublet et de la chanteuse Anggun), partageant ses ressentis et ses pronostics tant réalistes que loufoques, comme n’importe quel téléspectateur devant sa télé, l’atmosphère générale du programme reste pleine de jeu et de bonne humeur, ce qui contribue à donner envie de suivre le programme.



La promotion démesurée faite par TF1, le point faible du programme ?


Bien évidemment, comme tout programme, «Mask singer» n’est pas exempt de tout reproches. Et aussi étonnant que cela puisse paraître au premier abord, il semble que la promotion faite par la chaîne autour de son programme lui ait causé plus de tort qu’autre chose. Pour comprendre cela, il n’y a qu’à chercher à décrypter les audiences du lancement puis du programme semaine après semaine.


Si le lancement du programme est incontestablement un carton d’audience (environ 6,6 millions de téléspectateurs, soit 32,5% des téléspectateurs devant leur télé ce soir-là, un score que TF1 n’avait plus atteint depuis bien longtemps pour le lancement d’un nouveau divertissement), ce lancement sur les chapeaux de roues doit en partie à la publicité colossale faite par la une pour celui-ci. En effet, quelques jours auparavant, le directeur des programmes de TF1 Ara Aprikian n’hésitait pas à comparer le lancement de «Mask singer» à celui de la «Star Academy», de «The Voice» ou de «Danse avec les stars», c’est dire si la direction de la chaîne croyait dans le programme. Et cela s’est vu. TF1 a commencé à diffuser des bandes-annonces quinze jours à trois semaines avant le lancement du programme, et pas une page de publicité à heure de grande écoute n’a dû échapper à la promotion du programme la semaine de son lancement. Sa promotion était telle qu’il a même été possible de voir le paon, costume choisi symboliquement pour représenter le programme, faire une apparition la veille du lancement dans «Danse avec les stars», le soir-même dans la météo, et même au cours de la semaine… dans l’émission culinaire «Petits plats en équilibre». Il ne manquait plus que de le voir apparaître à la fin d’un des journaux de la une ou dans «Téléfoot» et nous aurions tout eu. Il faut dire que les attentes de la chaîne se ressentaient dans le prix fixé pour une page de publicité pendant le programme : 97 000€ la publicité de 30 secondes, revalorisé à 105 000€ deux semaines plus tard suite au carton d’audience du lancement, puis 112 000€ pour le quatrième numéro la semaine dernière. A titre de comparaison, pendant la cérémonie des NRJ music awards, évènement musical annuel de la chaîne, le prix d’une page de publicité s’élevait à 82 000€ cette année. En même temps, avant de pouvoir tirer profit de son succès, il faut bien que la une amortisse le coût de son programme, qui s’élèverait à environ 750 000€ par numéro selon le journal «Le Figaro». Ainsi, cette intense promotion, décrivant le programme comme un «phénomène mondial», n’a pu faire que des déçus au bout du compte tant «Mask singer» a été survendu par la chaîne, comme en témoigne les deux millions de téléspectateurs perdus en trois numéros, dont 1,1 million rien qu’entre le premier et le deuxième numéro.


En cause notamment : la promotion faite autour du casting du programme. Comme nous avons pu le constater avec «Danse avec les stars», la chaîne éprouve des difficultés à attirer des célébrités ayant une grande notoriété dans ses programmes demandant un investissant long et conséquent. Ici, l’avantage qu’a la chaîne est que les téléspectateurs ne peuvent pas ne pas être dissuadé de regarder le programme à cause d’un casting décevant puisque le casting complet ne sera connu qu’à la fin du programme, une fois que les candidats auront été tous démasqué. Il n’empêche qu’il est dévoilé semaine après semaine au fil des éliminations et que les premiers noms dévoilés [par respect pour les téléspectateurs qui seraient en retard dans le visionnage du programme ou qui voudraient se lancer dedans, aucun nom du casting ne sera donné dans cet article] semblent susciter quelques déceptions au regard d’une majorité de commentaires sur les réseaux sociaux. Et pour compte, il est régulièrement rappelé au cours du programme que n’importe qui peut être sous le masque, l’introduction du programme se vantant d’un casting rassemblant des célébrités «applaudies par des millions de spectateurs au cinéma», qui ont «vendues plus de 100 millions de disques à travers le monde», qui «totalisent plus de 50 médailles sportives, nationales et internationales», qui ont obtenu «des nominations et des prix prestigieux, aux César, aux Molières, aux Victoires de la musique, et même aux Oscars», voire qui «ont occupé des fonctions politiques». Ainsi, en jouant de la sorte sur l’imaginaire des téléspectateurs en prétendant avoir un casting cinq étoiles, il est compréhensible que la chaîne soit finalement critiquée pour la faiblesse de son casting. Pour autant, cette critique semble toutefois devoir être nuancé. En effet, à l’heure où sont écrites ces lignes, le casting paraît plutôt composé de célébrités ayant une petite notoriété ou ayant eu une grande notoriété à une certaine époque. Néanmoins, elles méritent toutes le qualificatif de star. De plus, le casting est d’autant plus intéressant qu’il s’agit, pour la plupart, de personnalités qui ne sont clairement pas attendues dans ce genre de divertissement.


Si la publicité autour du programme faite par TF1 et son casting jouent sans nul doute sur la baisse constante et significative de l’audience de «Mask singer» au fil des semaines après un lancement tonitruant, il semble également possible de trouver des explications dans la propre mécanique du programme. En l’occurrence ici, le schéma répétitif, et donc ronronnant, du programme : les candidats encore en course s’affrontent dans des duels (s’ajoute à cela le magnéto indice avant chaque prestation) ; les perdants de ces duels se retrouvent en ballotage ; le jury et le public qui assiste à l’émission décident de celui ou celle qui doit quitter l’aventure à l’issue du ballotage ; le candidat éliminé révèle son identité au cours d’une mise en scène qui veut garder le suspens jusqu’au bout. Et c’est la même mécanique chaque semaine. Par conséquent, pas étonnant que les téléspectateurs décrochent assez rapidement du programme. Au vue des possibilités que laisse le concept, nul doute que les producteurs trouveront sans trop de difficultés, s’il y a une deuxième saison au programme (ce sur quoi il n’y a pas trop de doutes à avoir), quelque chose pour mieux garder les téléspectateurs en haleine sur la durée. Une des options pourrait être, comme dans l’adaptation allemande du programme, de diffuser «Mask singer» en direct. De cette manière, l’enquête pourrait être encore plus interactive avec les téléspectateurs du programme, qui pourraient alors directement voter pour sauver leur personnage préféré, comme le font actuellement le jury et le public qui assiste à l’enregistrement de l’émission. Toutefois, nous pouvons nous demander s’il est possible de réaliser une émission d’aussi bonne qualité si le programme est tourné dans les conditions du direct, et surtout s’il est possible de garder le secret quant à la composition du casting aussi longtemps. Et finalement, peut-être que la chaîne se contentera d’ajuster le nombre de numéros, ce qui passerait sans doute par une réduction du nombre de candidats du programme (6 numéros pour 12 candidats cette saison).




En clair, avec «Mask singer», TF1 a raison de croire qu’il tient un concept ayant le potentiel pour devenir un des divertissements phares de la chaîne et occuper de nombreux vendredis au cours des prochaines saisons. Seulement, au vue des bases sur lesquelles la production et la chaîne sont partis pour cette première saison, si quelques améliorations et perfectionnements ne sont pas entrepris pour la prochaine saison, le programme risque davantage de connaître un petit succès à la «Ninja warrior» qu’un gros carton à la «The Voice».




Sources:

- Wikipédia, «Mask Singer» [page consultée le 30 novembre 2019 ; dernière modification de la page faite le 30 novembre 2019]

- Le Parisien, «Mask Singer, LE lancement de l’année pour TF1» [article de Benoît Daragon], 26 octobre 2019

- 20 minutes, «Mask Singer : TF1 joue gros et organise le culte du secret autour de l’émission» [article de Fabien Randanne], 7 novembre 2019

- Le Parisien, «Mask Singer : TF1 se frotte déjà les mains» [article de Benoît Daragon], 15 novembre 2019


bottom of page