top of page

Faut-il réhabiliter les séries ados ?


Début mars, l’annonce du décès de l’acteur américain Luke Perry, principalement connu pour son rôle de Dylan McKay dans la série ado des années 1990 «Beverly Hills 90210», a eu un retentissement particulier chez un grand nombre d’individus. En effet, pour ceux et celles qui ont suivi la série à l’époque, ce n’est pas juste un homme et acteur qui part, mais également une partie de leur jeunesse avec lui. Preuve que les séries ados, pourtant bien souvent dénigrées, semblent laisser un souvenir prégnant dans la mémoire des individus, probablement en tant que sources par procuration des premières expériences de vie. Ainsi, est-ce réellement légitime d’affirmer que les séries ados constituent davantage des plaisirs coupables que de véritables séries à part entière comme il est coutume d’entendre ?




Séries ados, késako ?


L’utilisation du terme de «série adolescente», ou «teen show», semble assez problématique du fait qu’un grand nombre d’individus l’emploie, souvent de manière péjorative, sans vouloir forcément désigner la même chose à chaque fois. En effet, on désigne communément par ce terme des séries ayant à la fois l’adolescence comme sujet et/ou les adolescents comme personnages et public visé. A partir de là, nous sommes confrontés à une difficulté majeure: qu’attendent les jeunes d’une série ? Attendent-ils quelque chose de spécifique dans une série ? Ou bien s’agit-il d’une simple classification artificielle visant à produire en masse des contenus destinés à cette catégorie d’âge afin de satisfaire des intérêts commerciaux ? Comment ces supposés attentes se concrétiseraient-elles dans une série ? Une série qui parlerait de l’adolescence ou qui mettraient en scène des adolescents ne pourrait nécessairement pas intéresser également un public adulte ?



Depuis quand parle t-on de «séries ados» ?


Pour mieux comprendre le débat qui existe autour des «teen series», il semble nécessaire de revenir quelques temps en arrière, à l’origine de la création et de l’utilisation de ce terme et de ses variantes. Les premières séries adolescentes sont apparues aux Etats-Unis dans les années 1960-1970, la toute première étant «Never too young», diffusée sur la chaîne américaine ABC entre 1965 et 1966. A l’origine, elles semblent trouver leur recette dans un savant mélange entre soap opera (en clair, pour prendre un exemple, imaginez un feuilleton dont l’esprit se rapproche de «Plus belle la vie» ou «Les feux de l’amour») et teen movie (imaginez ici un film du genre «La fureur de vivre», «Breakfast club» ou «American pie»). A l’époque, comme le montre également le succès croissant des teen movie en parallèle, les adolescents semblent s’affirmer de plus en plus dans les sociétés occidentales comme des individus traversant une période spécifique de la vie, et donc comme constituant un groupe social distinct, avec ses propres codes culturels, que ce soit en terme de vêtements, de musique ou de loisirs. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les «teen show» ne s’adressent pas uniquement aux adolescents à ce moment-là, du moins pas aux Etats-Unis, du fait que ces séries soient diffusées en prime time (c’est le cas de «Happy days» entre 1974 et 1984).

Ce n’est que dans les années 1990 que le succès des séries ados explose, donnant lieu à de multiples séries du genre qui marqueront les esprits de bon nombre de téléspectateurs. C’est le cas de «Degrasi» (six saisons, 1979-1991), de «Beverly Hills 90210» (dix saisons, 1990-2000), de «Angela, 15 ans» (une saison, 1994-1995), ou encore de «Freaks and geeks» (une saison, 1999-2000).



Et la France dans tout ça ?


Bien entendu, la France n’échappe pas à ce moment-là à l’émergence de ce nouveau genre de séries. Toutefois, si sa consommation est assez conséquente, on ne peut pas en dire autant en terme de production. En France, quelques sitcoms d’AB productions, telles que «Premiers baisers» (quatre saisons diffusées sur TF1 entre 1991 et 1995) et «Hélène et les garçons» (quatre saisons diffusées sur TF1 entre 1992 et 1994), semblent être ce qui se rapproche le plus en matière de séries ados. En dehors de ça, seules quelques tentatives ont été accompli (deux saisons pour «Seconde B» sur France 2 entre 1993 et 1995, une saison pour «Ma terminale» sur M6 en 2004, une saison pour «Ben et Thomas» sur France 4 en 2008, une saison pour «Clash» sur France 2 en 2012) mais sont loin d’avoir été des succès d’audience, ce qui a peut-être dissuadé les chaînes françaises de produire elles-mêmes des séries ados. Encore aujourd’hui, face à la domination claire des productions américaines dans ce domaine, les chaînes françaises restent assez frileuses en la matière. Récemment, nous pouvons néanmoins noter l’exemple de «Les grands» (deux saisons, une troisième en production, diffusée sur OCS City depuis 2016) et le beau succès de «Skam France» (quatre saisons, une cinquième en production, diffusée sur France 4 depuis 2018).



Un genre dévalué car souvent réducteur ?


Si les séries ados peinent à acquérir une véritable crédibilité dans le monde des séries, cela est probablement dû principalement au fait que face à l’essor du genre dans les années 1990-2000, un grand nombre de «teen show» se soient développés en s’appuyant sur des profils-types de personnages et des intrigues récurrentes, véhiculant des images assez stéréotypées de la jeunesse. Ainsi, dans la plupart de ces «teen series», l’ado est soit un rebelle, une pom-pom girl populaire, un intello, un sportif, ou bien un héros bon sur tout rapport, qui passe, quoi qu’il en soit, la plupart de son temps à s’occuper d’histoires d’amour de manière générale. Et quand l’une de ces séries tente d’aborder une thématique sociale ou sociétale plus sérieuse, celle-ci ne fait l’objet que d’un épisode, comme si cette thématique est inhabituelle et nécessite donc de revenir au plus vite à une situation dite «normale», et propose donc nécessairement au passage une exploration bien souvent peu approfondie et assez superficielle de cette thématique.


De plus, ces séries ados suivent bien souvent des codes de narration bien établis qui les enferment dès le départ dans cette vision caricaturée de la jeunesse : l’intrigue est initialement lancée par l’emménagement d’un personnage dans une nouvelle ville, de manière à impliquer le téléspectateur dans la découverte de celle-ci et des autres personnes qui l’habitent par le personnage en question ; la nouvelle ville est relativement petite et paisible afin que le téléspectateur ait l’impression que tout le monde se connaisse et que l’on s’y sente bien, l’incitant finalement à fantasmer sur ce lieu où il pourrait vivre par procuration à travers les personnages de la série…



Peut-on encore parler de «séries ados» de nos jours ?


Depuis les années 2000, la recette du succès des «teen show» semble avoir quelque peu évolué. En effet, fini les simples récits de peines de cœur d’une adolescence insouciante. A partir de là, les séries ados se mélangent de plus en plus à d’autres genres, pour donner lieu à des intrigues plus originales, même si l’on y retrouve quand même souvent certains codes qui caractérisent les séries ados. Ainsi, c’est le cas du fantastique avec «Buffy contre les vampires» (sept saisons, 1997-2003) et «Teen wolf» (six saisons, 2011-2017), de la science-fiction avec «Smallville» (dix saisons, 2001-2011), du thriller avec «Veronica Mars» (trois saisons, 2004-2007) et «Pretty little liars» (sept saisons, 2010-2017), ou encore la comédie musicale avec «Glee» (six saisons, 2009-2015).


De plus, avec le succès fulgurant et récent des plateformes en ligne de SVOD qui ne cherchent pas nécessairement à viser un public large comme les grandes chaînes télé mais s’intéressent aussi aux publics de niche, de plus en plus de séries ados concernées et concernantes sont lancées, à l’instar de «13 reasons why» (deux saisons, une troisième en production, depuis 2017) avec le suicide, «Sex education» (une saison, une deuxième en production, depuis 2019) avec le sexe, ou encore «Sweet/Vicious» (une saison, 2016-2017) avec le viol. Bien entendu, il ne faut pas attendre les séries ados actuelles pour en connaître certaines qui tentent de faire évoluer les mentalités en prenant des sujets sociaux ou sociétaux comme base de l’intrigue générale de la série et pas uniquement comme celle abordée lors d’un épisode. Ainsi, «Angela, 15 ans» (1995-1996) raconte le quotidien et les états d’âme d’Angela, une ado vivant dans la banlieue de Pittsburgh, au milieu de tous les questionnements et débats dominants dans les années 1990, c’est-à-dire entre solitude et difficile construction dans l’adolescence, homoparentalité, homophobie, alcoolisme adolescent, violence à l’école, censure, ou encore usage de drogues. De même, c’est dans la série ado «Dawson» (1998-2003) qu’a lieu le tout premier baiser entre deux hommes à la télévision en 2000 (pour info, celui entre deux femmes a, en revanche, eu lieu neuf ans plus tôt, dans la série judiciaire «La loi de Los Angeles»), après que le personnage ait fait son coming out au lycée une saison plus tôt.


Finalement, contrairement à ce que l’on pourrait croire depuis une quinzaine d’années, les «teen show» n’ont pas disparu, et leur nombre n’a même pas particulièrement diminué. Le retour en force des teen movies ces dernières années, comme «Twilight» (cinq films, 2008-2012) ou «Hunger games» (quatre films, 2012-2015), prouve que l’intérêt vis-à-vis de ce genre de contenu ne démord pas. Il est possible que le genre ait connu dans les années 2000 un léger creux nécessaire au renouvellement du genre après le succès qu’il a connu dans les années 1990. C’est sans compter sur la dépendance aux productions étrangères face à la faible production française de «teen series» qui a pu accentuer cette impression de faible demande de la part du public.




Ainsi, pour conclure, s’il arrive régulièrement que les «teen show» proposent une vision assez réductrice de divers sujets, il est tout autant réducteur de prétendre que les séries dites ados ne s’adressent qu’aux adolescents et de se contenter de quelques traits caricaturaux pour les définir. Au-delà de l’aspect problématique d’utiliser le public visé par la série comme définition du genre d’une série, il serait judicieux de reconnaître que l’on trouve certainement, que ce soit dans les séries dites ados ou autres, autant de séries formidables comme de médiocre qualité. Après tout, si certaines séries ados marquent autant les esprits, ce n’est certainement pas un hasard.




Source: Article inspiré de la conférence «La série adolescente a-t-elle tout d’une grande ?» proposé par Vincent Julé, journaliste à «20 minutes», dans le cadre du festival «Séries Mania» de Lille en mars dernier

bottom of page