La publicité télévisée, ressource de tout temps critiquée mais nécessaire
Du 28 janvier au 3 février, six marques ont expérimenté un nouveau format publicitaire proposé sur les antennes des chaînes du groupe Canal, nommé «memory pub». Bien que ce concept n’ait rien de révolutionnaire à première vue, il semble pourtant intéressant d’y prêter plus ample attention, de par le contexte dans lequel il s’inscrit en terme de rapport entre publicité et télévision.
Un développement tardif
Avant tout chose, il semble important de rappeler que la publicité à la télévision n’est pas véritablement née ni ne s’est développée avec la télévision. Ce n’est que le 1er octobre 1968 que le premier spot publicitaire a été diffusé à la télé française (mais n'apparaît sur la deuxième chaîne qu'en 1971 et sur la troisième chaîne en 1983). A l’époque, la publicité télévisée existait déjà dans la plupart des pays européens (1955 en Grande-Bretagne, 1957 en Italie et 1959 en RFA). Aux Etats-Unis, elle était déjà développée depuis 1941. Seulement, en France, diffuser de la publicité à la télévision semblait représenter davantage de problèmes. L’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale durant la première moitié de l’année 1968 a ainsi fait couler beaucoup d’encre, notamment de la part du journal «L’express», qui se demandait alors dans un article si «un certain nombre de journaux français survivront à la perte de 15 à 20% de leur recette publicitaire». Georges Pompidou, alors premier ministre, avait défendu sa mesure devant l’Assemblée en expliquant que «l’objectif de l’adoption des réclames par le petit écran est de développer la consommation et d’accroître les recettes des deux chaînes publiques» (soit environ 30 milliards d’anciens francs sur un budget annuel de 130 milliards d’anciens francs). En fin de compte, malgré de nombreuses réticences de la part d’hommes politiques et de professionnels du milieu au vue de l’impact économique qu’aurait une telle mesure auprès des différents organes de presse, le décret est finalement adopté. Pour autant, il faut savoir que la publicité n’est alors autorisée que pour trois secteurs : l’alimentation, l’électroménager et le textile. Encore aujourd’hui, trois secteurs sont écartés des spots publicitaires : les opérations de promotion de la grande distribution, l’édition et le cinéma.
Un marché au plus haut de son expansion ?
Petit à petit, la télévision a conquis un large public, faisant alors de la publicité un enjeu économique conséquent, tant pour les chaînes de télévision pour se financer que pour les annonceurs pour gagner en visibilité. A l’heure actuelle, l’enjeu est tel que les chaînes sont de plus en plus souvent pointées du doigt pour leur intérêt trop fortement marqué à ce propos, se manifestant à travers des primes commençant de plus en plus tard afin de booster les recettes publicitaires en profitant du pic d’audience quotidien entre 20h30 et 21h, ou encore le découpage des programmes en plusieurs parties afin de gonfler artificiellement les audiences des programmes et ainsi pouvoir augmenter les tarifs du spot de publicité. En 2017, la publicité à la télévision pesait ainsi 3,3 milliards d’euros.
Seulement, pour être efficaces, les publicités diffusées par les annonceurs par le biais de la télévision ne doivent pas seulement être partagées au plus grand nombre mais avant tout se montrer attractives. En effet, contrairement à internet, au cinéma ou dans la rue, les individus ont ici davantage la liberté de choisir de regarder ou non la publicité qui leur est proposée de voir. Ainsi, d’après un sondage réalisé pour le journal «Le parisien» en 2017, 75% des français disent ne pas être attentifs pendant la publicité à la télévision. 89% des français déclarent alors en profiter pour se rendre dans une autre pièce, que ce soit pour aller chercher quelque chose à grignoter ou passer aux toilettes. Pour 85% des français, il leur arrive également de changer de chaîne pendant une page de pub, tandis que 80% des français vont sur leur smartphone en attendant la reprise de leur programme. Il arrive en tout cas à 68% des français de baisser voire de couper le son de la télé pendant la pub.
L’interactivité et la proximité, futur de la publicité à la télé ?
Face à la perte de vitesse de la télévision, et donc du secteur de la publicité qui a donc tendance à se réfugier sur le web, notamment auprès des GAFA, il semble tout à fait cohérent de voir les acteurs concernés s’adapter en multipliant les expérimentations ces dernières années afin de susciter un nouvel élan d’intérêt à l’égard de la publicité à la télévision.
Pour cela, il n’est pas rare que les nouvelles technologies soient sollicitées. C’est ce que proposait, par exemple, le groupe France Télévisions en 2014 en permettant à ses téléspectateurs de bénéficier d’une offre promotionnelle de la banque Caisse d’épargne pour l’ouverture d’un compte en cliquant sur un lien affiché à l’écran à l’aide de la télécommande. De cette manière, la publicité rend le téléspectateur moins passif, qui se retrouve directement sollicité par les publicités. Toutefois, ce genre de publicité interactive a un défaut de taille, qui est que la télévision doit être compatible avec le format HbbTV (Hybrid Broadcast Broadband TV), c’est-à-dire un format permettant aux chaînes de télévision de proposer des services additionnels au signal diffusé en direct, ce qui représente un coût supplémentaire pour le téléspectateur dans l’achat d’un téléviseur et qu’il ne peut pas toujours se permettre. Sans aller jusqu’à investir dans les dernières technologies de pointe, les chaînes de télé peuvent également proposer une publicité relativement interactive exploitant simplement l’étendue des possibilités actuelles permises par un téléviseur classique. Ainsi, cette semaine, en prime, les téléspectateurs des chaînes du groupe Canal ont été incités à observer attentivement certaines publicités (indiquées par la diffusion d’un jingle spécifique avant celles-ci) afin de répondre à un quiz en ligne relatif à la publicité à l’issu de la diffusion de celles-ci, leur permettant, s’ils sont tirés au sort, de remporter divers cadeaux. Une étude menée par le groupe télé dans le cadre de cette expérimentation leur a permis de constater que la mémorisation du spot de pub par le téléspectateur augmenterait de 38% grâce à cette technique. De cette manière, annonceurs et chaîne de télé sont tous deux gagnants puisque l’un voit sa publicité gagner en efficacité tandis que l’autre booste ses recettes publicitaires en proposant cette offre spéciale (le groupe Canal a ici fait payer 30% plus cher le spot de publicité par rapport à une publicité classique à la même heure durant le même programme).
Outre la publicité interactive, une autre forme de publicité suscite également une certaine curiosité de la part des différents acteurs concernés, il s’agit de la publicité segmentée, ou «adressée». Bientôt, il sera peut être possible que la pub télévisée soit ciblée en fonction du foyer, à l’aide des box télés et de la géolocalisation. C’est en tout cas ce que préconise un rapport de la députée LREM Aurore Bergé partagé fin 2018, afin de «doubler la valorisation de chaque écran publicitaire». Cet assouplissement du cadre juridique à l’égard de cette pratique permettrait aux chaînes de gagner environ 200 millions d’euros d’ici à 2022. Selon Laurent Bliaut, directeur général adjoint du marketing de TF1 Publicité, «en proposant des options de ciblage plus fines, les chaînes pourraient abaisser le ticket d’entrée de la pub TV», permettant ainsi à un certain nombre d’annonceurs locaux n’ayant pour l’instant pas les moyens de s’offrir un spot de gagner en visibilité. Thomas Luisetti, directeur des opérations et des nouveaux projets numériques à FranceTV Publicité, estime que «c’est l’occasion de réunir le meilleur des deux mondes : la puissance de la TV avec le ciblage du digital.» Toutefois, quelques réticences se font entendre, notamment de la part d’autres médias, dont les revenus publicitaires sont en grande partie assurés par des annonceurs locaux (environ 80% pour la presse régionale), ce qui pourrait ne plus être nécessairement le cas si ces annonceurs ont la possibilité d’obtenir davantage de visibilité grâce à la publicité télévisée. Pour le moment, France Télévisions a expérimenté ce genre de publicité au Mans et à Bordeaux entre janvier et juin 2018, une manière pour eux de «valider la faisabilité technique d’un décrochage [passage de la diffusion d'un programme à l'échelle nationale à un niveau plus local sur la même antenne ndlr] au niveau des villes» selon Thomas Luisetti. Seul France 3, grâce à un décret datant de 1992, a le droit pour l'heure de proposer des contenus différents selon les régions du territoire à un même moment (la chaîne public ayant une vocation régionale, il lui arrive très régulièrement de faire des décrochages pour proposer des programmes plus spécifiques aux régions, notamment pour le journal en début de soirée). Quoi qu’il en soit, ce genre de pratique est déjà en bonne voie aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Australie entre autre.