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France Télévisions et Patrick Sébastien : Le divorce est (sans surprise) acté


Au cours des dernières années, les tensions entre Patrick Sébastien et sa direction se faisaient sentir et ses tacles la concernant étaient devenus monnaie courante. Seulement, cette fois, la coupe est pleine. A la suite d’un énième chantage au départ, la direction de France Télévisions a pris la décision de le pousser vers la sortie à la fin de la saison. C’est l’occasion pour nous de revenir sur la longue relation, devenue plus récemment tumultueuse, qui lie France Télévisions à son animateur.




Un franc-parler assumé et revendiqué


Lorsque quelque chose déplaît à Patrick Sébastien, celui-ci n’hésite pas à l’exprimer ouvertement, y compris à l’égard de son propre employeur. En 2011, il déclarait déjà que «France Télévisions a décidé de faire de la télé pour des gens qui ne la regardent pas. Ça ne m’étonne pas que ce soit la catastrophe côté audience», exprimant par la suite son regret concernant le fait que «Tout ce qui est divertissement populaire, on a montré ça du doigt et on crache dessus. Moi je dis que c’est vachement grave […] il y a un mépris pour les gens du peuple». La nomination de Delphine Ernotte à la tête du groupe France Télévisions en 2015 n’a malheureusement rien arrangé aux rapports, déjà houleux, entretenu par Patrick Sébastien vis-à-vis de sa direction. En effet, les critiques les concernant s’étaient depuis multipliées, notamment par rapport à la chasse aux «hommes blancs de plus de 50 ans», visage de la télévision publique face auquel Delphine Ernotte s’était engagée à lutter en arrivant à la tête du groupe en 2015, dont l’animateur se sentait l’un des principaux concernés. Il réglait ainsi assez régulièrement ses comptes avec France Télévisions par médias interposés, n’hésitant pas dernièrement à faire du chantage au départ pour obtenir davantage de moyens et de reconnaissance de la part de sa direction. Lors d’une interview accordée au «Parisien» en juin 2018, l’animateur exprimait son regret et son agacement face à la réduction du nombre de ses émissions pour «des raisons économiques» (seulement quatre «Années Bonheur» et deux «Plus grand cabaret du monde» cette saison, sans compter le réveillon), ainsi que la différence de traitement dont il faisait l’objet par la direction du groupe : «Je ne critique pas ce choix, mais la direction ne me fait plus confiance. Je suis déçu. […] Je n’en demandais pas 25. J’en voulais juste deux de plus. Avant, il y en avait une par mois. J’ai un sentiment d’injustice. C’est pareil pour Michel Drucker. Je sais à quel point il en souffre. […] Nagui peut se permettre de faire des primes times à 5%* (*de PDA, c’est-à-dire de Part De Marché) parce qu’il tient l’access. Moi, si j’en fais une à 5%, c’est fini, je suis dehors. Ruquier, le samedi soir, fait 8% et il va continuer à en avoir plein. […] On m’a enlevé des soirées pour mettre ces gens-là. Il y a clairement deux poids deux mesures.»



Trop, c’est trop


Habituellement relativement discrète à la suite des polémiques provoquées par son animateur, préférant certainement réglé le problème en interne plutôt que s’étendre là-dessus dans la presse, la réaction de France Télévisions ne s’est, cette fois-ci, pas faite attendre. La direction a réagi suite à une interview accordée il y a deux semaines par l’animateur à «Téléstar», dans laquelle il annonçait «s’ils me donnent moins, je ne resterai pas […] Et s’ils me donnent la même chose, je ne resterai pas non plus. » Résultat, le «Parisien» a révélé dimanche dernier que la direction du service public lui avait signifié dans la semaine qu’il ne serait pas reconduit à l’issue de cette saison.


Samedi, dans sa première interview depuis son renvoi, accordée aux «Terriens du samedi» sur C8, Patrick Sébastien ne semble pas particulièrement amer, assurant qu’il ne s’agit que d’une «douleur passagère» qui passera et qu’il vaut mieux relativiser par rapport aux circonstances bien plus graves dans lesquelles peuvent se retrouver parfois certaines personnes. Dans cette interview, au cours de laquelle il insiste sur le fait de ne pas vouloir régler ses comptes mais simplement rétablir la vérité pour ses téléspectateurs, l’animateur ne manque pas pourtant de tacler à plusieurs reprises la direction de France Télévisions, notamment envers Delphine Ernotte, dont il explique «En 4 ans, je l’ai vu dix minutes. Quand je l’ai vu, elle ne savait pas que j’avais fais ‘’Le grand bluff’’, soit le record d’audience* (*record pour un divertissement à la télé française, toute chaînes confondues). C’est comme si le patron de la fédération de tennis ne sait pas que Noah a gagné Roland-Garros.» Il regrette notamment la manière ingrate d’après lui dont il a été licencié après plus d’une vingtaine d’années de bons et loyaux services : «On m’a fait plein de choses qui auraient dû me pousser à partir. Ils se sont dit ‘’Il est impulsif, il va péter un câble, il va s’en aller’’, mais je suis resté. […] J’ai vu personne. […] On a convoqué ma femme, qui est la directrice de ma boîte, pour lui dire en cinq minutes ‘’Vous lui direz que c’est fini’’». Patrick Sébastien persiste et signe alors concernant le fait qu’il n’ait pas été viré pour la qualité du travail qu’il menait mais pour ce qu’il représente, c’est-à-dire une figure populaire, proche et à l’écoute des «vrais gens», loin de l’élite qui dirige à son sens le service public, assurant qu’il peut pourtant «y avoir sur une même chaîne ‘’Taratata’’ et ‘’Les années bonheur’’».


Le renvoi acté de Patrick Sébastien n’est finalement pas véritablement une surprise, simplement la conséquence logique face aux attaques à répétition lancées par l’animateur. Cette décision marque la fin d’un laisser-faire de la direction dont l’autorité était ouvertement sapée, une situation qui ne pouvait plus durer et face à laquelle une réaction se faisait attendre, chose sur laquelle Patrick Sébastien était assez lucide. Il y a quinze jours, il déclarait alors que s’il n’avait pas encore été viré par Delphine Ernotte, c’est tout simplement parce qu’il «fait encore de l’audience». Seulement, malgré des scores encore corrects pour la chaîne tournant autour de 2,5 à 3,5 millions de téléspectateurs devant chaque émission, Patrick Sébastien était à présent éloigné de la période durant laquelle il était intouchable grâce à ses divertissements atteignant régulièrement plus de 4 à 5 millions de téléspectateurs. Ces premiers signes de faiblesse de la part de l’animateur n’ont ainsi pas manqué d’être exploité par la direction du service public qui semblait n’attendre que cela.


23 ans d’histoire commune


En 1995, après douze ans à l’antenne de TF1, Patrick Sébastien est viré par la chaîne, suite à une polémique déclenchée par une imitation de Jean-Marie Le Pen particulièrement critiquée. L’animateur annonce alors quitter définitivement le monde de la télévision. Finalement, l’année suivante, il décide de rejoindre sa principale concurrente, France 2, sur laquelle il anime plusieurs émissions de divertissement au fil des saisons, dont son célèbre «Plus grand cabaret du monde» depuis 1998. Cette dernière permet alors de mettre en lumière un grand nombre d’artistes venus de tous milieux, que ce soit du cirque, de la magie, de la danse, de la chanson ou bien de l’humour, au point de servir de tremplin à de nombreux artistes, comme le duo Les Bodin’s ou encore le ventriloque Jeff Panacloc, qui connaissent un certain succès et deviennent connus du grand public à la suite de leurs passages dans l’émission. Depuis 2003, il propose chaque année une déclinaison spéciale de son émission pour le passage à la nouvelle année. Trois ans plus tard, il crée «Les années bonheur», au concept relativement similaire, bien que davantage centré sur la musique. Dans les années 2010, outre l’animation de divers divertissements comme «La fête de la musique» entre 2013 et 2015 ou bien «Le grand burlesque» en 2017, l’animateur produit plusieurs téléfilms pour la chaîne du service public, dont «Monsieur Max et la rumeur» en 2014, adaptation de sa propre pièce de théâtre, «L’affaire de maître Lefort» en 2016, ou encore «Une chance sur six» en 2018, qui rencontrent tous un certain succès.


Au fil des années, Patrick Sébastien s’était ainsi imposé comme étant la figure emblématique et incontestée de la chaîne en terme de divertissement, rassemblant jusqu’à 5 millions de téléspectateurs devant ses programmes au meilleur de leur forme. Encore aujourd’hui, il revendique son personnage d’animateur populaire et de chanteur de variété cultivé durant cette époque, malgré le fait que ça lui ai souvent valu d’être décrié comme quelqu’un de beauf, vulgaire, ringard et proposant des divertissements de piètre qualité.



Quel avenir télé pour Patrick Sébastien ?


A présent remercié par sa direction, nous pouvons à juste titre nous interroger quant au devenir de l’animateur à la télévision. Sachant qu’il a signé un contrat avec la chaîne pour la saison, Patrick Sébastien a le temps de voir venir d’ici juin 2019, d’autant plus que ce n’est certainement pas les propositions qui doivent lui manquer.


Notamment de son digne héritier, l’animateur-producteur de C8 Cyril Hanouna. Dès la révélation de l’information, ce dernier s’est fendu d’un tweet, indiquant être «trop triste» pour lui, et qu’il est «sûr qu’il va vite trouver une autre chaîne pour faire à nouveau tourner les serviettes». Une manière subtile de rappeler à celui qu’il considère comme un modèle qu’il peut compter sur lui et qu’il serait le bienvenu sur la chaîne, auprès de laquelle il parviendrait sans problème à obtenir ce qu’il désire. Si ce transfert serait une aubaine pour la chaîne de la TNT, entre le fait de pouvoir récupérer une grande figure de la télévision française sur son antenne, elle qui s’est toujours vantée de vouloir devenir «la nouvelle grande chaîne», et de potentiellement pouvoir renforcer ces samedis soirs grâce à un «plus grand cabaret du monde» nouvelle version, rien n’est moins sûr en ce qui concerne l’animateur. En effet, la chaîne de la TNT dispose de moins de moyens que la première chaine du service public. Nous pouvons donc douter du fait que Patrick Sébastien donnerait son accord pour une version low-cost de sa célèbre émission de divertissement, alors que celui-ci se plaignait régulièrement du manque de moyens que lui accordait France 2. De plus, Cyril Hanouna règne déjà sans partage sur le secteur du divertissement de la chaîne, comme nous avons pu le constater récemment par rapport à ses querelles avec la récente recrue et ancienne figure de TF1 Vincent Lagaf’. Pas sûr qu’il y ait donc la place pour un deuxième poids lourd du divertissement sur la même chaîne, même si Patrick Sébastien bénéficierait sans conteste du soutien et de la communauté de fans de la star de C8. Enfin, après Benjamin Castaldi, William Leymergie, Carole Rousseau, Patrick Sabatier, Vincent Lagaf’, Julien Courbet, Estelle Denis ou encore Cauet, l’animateur de France 2 pourrait bien être repoussé par l’image de lieu d’accueil des anciennes gloires du PAF que donne souvent l’impression la 8, d’autant plus au vue du succès à demi-teinte de la greffe pour la plupart d’entre eux. En tout cas, Patrick Sébastien n’exclut pas une arrivée sur la chaîne de la TNT. En effet, lors d’une interview accordée en juin 2018 pour le «Parisien», l’animateur s’était prononcé concernant son avenir télé, déclarant qu’il ne pourrait pas aller sur TF1 ou M6 car il «ne rassemble pas assez de ménagères*» (*cible commerciale, représente les femmes de moins de 50 ans responsables des achats). Par contre, «il y aurait bien C8. Je suis très pote avec Cyril Hanouna. Si je veux y aller, c’est possible. Mais je n’ai pas envie d’avoir dix minutes de pub pendant mes émissions. Et puis, ils recyclent tout». Il avait également confié qu’il ne «veut pas aller faire un jeu», mais se voyait plutôt «animer un talk-show bienveillant». Samedi, dans «Les terriens du samedi» sur C8, l’animateur a de nouveau été interrogé là-dessus, expliquant cette fois-ci en plaisantant «j’aimerais bien aller sur France 2, mais quand ils* (*sous-entendu, l’actuelle direction du service public) ne seront plus là». Seul l’avenir nous dira ce qu’il en est.


A 64 ans, Patrick Sébastien pourrait également imaginer son avenir loin des plateaux de télévision. En effet, rien ne l’empêche de se consacrer à son spectacle «Avant que j’oublie… (tout ce que j’ai jamais pu dire à la télé)», dont la tournée démarre d’ici peu, ou encore à la production de téléfilms, dans la continuité de ce qu’il avait commencé pour France 2. De plus, c’est sans conteste sur sa carrière de chanteur, et le fait qu’il ne manquera certainement pas dans les prochains mois d’exprimer enfin ce qu’il prétend taire depuis plusieurs années concernant la direction de France Télévisions à travers l’écriture d’un livre retraçant ses années de collaboration avec le groupe. Ainsi, on peut être convaincu du fait que nous ne sommes pas prêts de ne plus entendre parler de l’animateur dans un avenir proche.



A qui pourrait profiter ce renvoi ?


En ce qui concerne France Télévisions, la tâche de son remplacement s’avère plus délicate. En effet, quoi que l’on puisse penser de l’animateur et de la qualité de ses programmes, il était devenu la principale incarnation du divertissement en soirée sur France 2, au point qu’il a été difficile pour une concurrence de coexister ou d’émerger en parallèle dans ce créneau durant cette période. Par conséquent, les prétendants semblent à présent rares pour récupérer le créneau occupé jusque là par Patrick Sébastien.


Spontanément, nous pourrions penser à Nagui, déjà chargé du divertissement de la chaîne en journée, avec «Tout le monde veut prendre sa place» le midi et «N’oubliez pas les paroles» le soir. Toutefois, bien que le public de la chaîne soit relativement différent à ces trois créneaux horaires, nous pouvons émettre un doute quant au fait que ce soit le choix le plus judicieux à faire. Loin de vouloir remettre en cause le talent de Nagui en tant qu’animateur, il serait en effet plus préférable pour la chaîne de préserver son animateur à succès plutôt que l’exposer jusqu’à trois fois par jour à l’antenne, au risque d’accélérer une impression de saturation et de lassitude auprès du téléspectateur. De plus, les multiples tentatives récentes de programmes animés en prime par Nagui ont loin d’été un franc succès. Pour rappel, le jeu interactif «Seul contre tous» n’a rassemblé qu’1,7 et 1,1 million de téléspectateurs en février et juin 2018, tandis que le quiz pédagogique «Tout le monde joue» ne rassemble qu’environ 2 millions de téléspectateurs en moyenne, oscillant selon la thématique abordée par le quiz.


Ainsi, il serait certainement préférable de parier sur des animateurs et animatrices sur lesquelles France 2 semble tout particulièrement miser ces derniers temps, et qui permettraient à la chaîne de dépoussiérer et de dynamiser sa case du divertissement. C’est notamment le cas de Garou. En effet, en plus de coanimer la fête de la musique organisée chaque année par la chaîne depuis 2016, il s’est également vu confié cet année le lancement de «Destination Eurovision», nouveau concours permettant au public de choisir le candidat français envoyé au concours européen de la chanson et à la tête duquel il devrait rempiler en 2019, mais également de «Gare au Garou», divertissement au format surprenant et assez flou. Nous pouvons également penser à Daphné Burki, arrivée de C8 la saison précédente pour animer quotidiennement «Je t’aime, etc» en milieu d’après-midi et qui connaît des résultats satisfaisants, qui va bientôt se voir confier les rênes du concours de talents de la musique classique «Prodiges» suite au départ de Marianne James pour M6.


Enfin, bien que peu probable au vue de l’opposition de la part de Delphine Ernotte à une télévision «d’hommes blancs de plus de 50 ans», d’autres animateurs talentueux officiant sur la chaîne depuis un certain nombre d’années, tels que Michel Drucker ou Olivier Minne, pourraient très bien profiter de cette place libérée pour occuper davantage le terrain dans le service public, l’un déjà à la tête de deux divertissements hebdomadaires depuis 1998 «Vivement dimanche» et «Vivement dimanche prochain», l’autre aux commandes du jeu culte «Fort Boyard» chaque été depuis 2003 et du jeu quotidien «Tout le monde a son mot à dire» depuis début 2017.


Quoi qu’il en soit, parmi l’ensemble de ces possibilités dont dispose le service public, il ne faut pas écarter l’hypothèse, plus probable, qui consisterait à ce que la direction de France 2 décide de recruter auprès de la concurrence plutôt qu’en interne le successeur de Patrick Sébastien dans l’incarnation des divertissements en soirée de la chaîne.




Ainsi, la décision de France Télévisions d’écarter Patrick Sébastien vient mettre fin à un feuilleton médiatique qui ne pouvait plus durer, tant pour la direction que pour l’animateur. Cette décision pose également la question de l’avenir de la place du divertissement sur France 2, et plus largement au sein du service public, place qui risque d’être réduite du fait du poids de Patrick Sébastien pris jusqu’à présent dans ce créneau et que l’on imagine difficile à compenser, ce qui serait dommageable pour les téléspectateurs dans la mesure où le fait de divertir constitue également une des missions majeures du service public.

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